Selon une thèse largement répandue, Schiller serait l'héritier et le continuateur de Kant, et les Lettres sur l'éducation esthétique de l'homme représenteraient le témoignage de son adhésion créative au kantisme par la conception d'une relation nouvelle entre la théorie et la pratique.L'ouvrage prend le contrepied de ce lieu commun. Il s'efforce de renouveler l'interprétation du texte de Schiller et montre en particulier l'influence de la philosophie populaire précritique, et notamment de sa composante anthropologique. La conjonction de ce registre avec une lecture singulière de l'esthétique kantienne se révèle caractéristique d'une forme de pensée qu'on peut qualifier de réformisme conservateur et dans lequel on doit voir la matrice du libéralisme politique qui naît au début du xixe siècle.Par sa lecture philologique serrée, ce livre s'adresse tout autant aux spécialistes de la pensée kantienne et post-kantienne qu'aux étudiants recherchant une introduction aux Lettres de Schiller.
La publication en 2013 d'une version reconstruite du texte de Kracauer Die totalitäre Propaganda (1937-1938) a renouvelé la perception que l'on pouvait avoir de cette dimension de son œuvre et de son apport à une " théorie critique de la propagande ". La réflexion sur la propagande s'inscrit dans le contexte plus vaste de l'élaboration par les exilés allemands, au tournant des années 1930-1940, d'une grille de lecture du national-socialisme, vu comme une pathologie de la modernité, ainsi que dans celui des grands projets de recherches américains sur la propagande nazie (auxquels Adorno et Kracauer ont été associés). Au sein de la nébuleuse de la " Théorie critique " Kracauer exprime, comme Benjamin, un point de vue à certains égards dissonant. À rebours d'une approche qui insiste surtout sur la continuité entre capitalisme et nazisme, il se montre particulièrement sensible à la séduction esthétique du fascisme, et à sa mise en scène d'une réalité de substitution, qui est selon lui l'expression d'une fuite en avant nihiliste: ses analyses concrètes ne portent pas tant sur les contenus du message que sur le langage même de la propagande, et la vision de la société et de l'histoire qu'elle véhicule, dans sa forme même. Le débat complexe qui se développe à cette époque entre Adorno, Benjamin et Kracauer met notamment en œuvre les catégories de " fétichisme " (Adorno), de " fantasmagorie " et d'" esthétisation du politique " (Benjamin), d'" apparence " et de " pseudo-réalité " (Kracauer). Il présente en premier lieu un intérêt historique, en tant que l'analyse du nazisme constitue pour le projet d'une théorie critique une mise à l'épreuve, qui suscite de vifs débats internes et aboutit chez Adorno et Horkheimer, dans la Dialectique de la raison (1944-1947), à une reformulation de ce projet. Mais dans un contexte aujourd'hui bien différent, les thèmes qui sont débattus entre ces protagonistes, comme celui de la dérive autoritaire du libéralisme, des manipulations de masse, de la construction médiatique du réel n'ont rien perdu de leur actualité.
et autres essais sur l'économie de la vie (2e édition)
La Philosophie de l'argent de Georg Simmel, dont la première édition parut en 1900, suivie d'une édition augmentée en 1907, a donné à la sociologie, au moment même où elle naissait en Allemagne, un tour très particulier. Comme le marxisme, Simmel traite du capital et du travail; comme Max Weber, il traite des formations sociales et des forces morales qui les portent. Mais il le fait en des termes qui sont profondément marqués par le contexte spirituel de l'époque – en particulier la "philosophie de la vie" – et ont révélé toutes leurs potentialités critiques en ce qui concerne l'interprétation de la "vie moderne". Les cinq textes du recueil portent précisément sur le rapport entre l'argent et "l'économie de la vie". Il ne s'agit nullement de parerga mais, dans l'optique de la sociologie de la culture de Simmel, d'études qui permettent d'appréhender l'ensemble de sa pensée et qu'il a d'ailleurs en partie intégrées à certaines de ses publications majeures, et notamment à son ouvrage-testament Lebensanschauung.
Il y a 100 ans, en novembre 1918, l'Allemagne impériale devint une république démocratique, la première république de son histoire. Son avènement fut, comme on le sait, chaotique car indissociable de la défaite allemande sur le champ de bataille et de la révolution qui suivit.Fruits des recherches les plus récentes, les contributions à cet ouvrage réévaluent des aspects essentiels et moins connus de cette transition politique: la parlementarisation progressive du régime depuis 1917 et les débats de fond, menés par les juristes et les politiciens, sur la nature du meilleur régime possible ; la question de la violence politique qui grève les débuts de la république; les expérimentations politiques à l'issue dramatique, comme les républiques des conseils de Bavière; les mutations sociales, incarnées entre autres par le développement du mouvement féministe.Ces études prêtent une attention particulière au regard que portent sur les événements des intellectuels comme Ernst Troeltsch ou Max Weber. Derrière le difficile passage à la république se pose en effet une question essentielle - qui se posera à nouveau de manière impérieuse au début des années 1930 : le régime démocratique est-il vraiment armé pour résoudre les crises sociales et économiques? On constatera d'ailleurs que cette interrogation ne concernait alors pas seulement l'Allemagne, mais l'Europe entière.
Siegfried Kracauer (1889-1966) apparaît aujourd'hui comme un des intellectuels les plus originaux issus de la République de Weimar. À la fois philosophe, romancier, essayiste, sociologue et historien, critique et théoricien du cinéma, il fut aussi un penseur pionnier de la photographie, technique de reproduction dans laquelle il voit un nouveau rapport au temps s'instaurer. Ce recueil rassemble les essais qu'il a consacrés à ce médium depuis la fin des années vingt jusqu'à son exil américain. Comme son ami Walter Benjamin, Kracauer fut l'un des premiers à saisir combien, face à sa diffusion quotidienne de masse dans les journaux illustrés, il fallait repenser la modernité – mais aussi le cinéma et même l'histoire – à travers la photographie.
La Dialektik der Aufklärung (Dialectique de la Raison), ébauchée par Theodor W. Adorno et Max Horkheimer, les deux fondateurs de l'Ecole de Francfort, pendant leur exil américain a été publiée sous forme fragmentaire en 1944, puis rééditée avec des variantes importantes en 1947. Depuis sa redécouverte dans les années 1960, elle est devenue un texte aussi mythique que controversé. C'est pourquoi les protocoles des discussions entre les deux auteurs, publiés pour la première fois en 1985 par Gunzelin Schmid Noerr dans le tome 12 des Œuvres de Max Horkheimer (Gesammelte Schriften: Nachgelassene Schriften 1931-1949), constituent des documents de première importance pour les historiens de la Théorie critique et pour les philosophes en général. Pour un public plus large il s'agit d'un aperçu unique sur le mode de gestation d'un texte philosophique en même temps qu'un témoignage de la façon dont les deux auteurs affrontent la pression du contexte historique.
Dans le contexte des crises engendrées par le développement sans précédent de nos sociétés et des défis qu'il pose à nos destinées collectives, le projet critique de l'École de Francfort retrouve toute son actualité : si l'émancipation humaine demande qu'on révèle ce qui lui fait entrave, cela passe par plus, et non moins, de rationalité.Les essais rassemblés ici proposent une réflexion sur le tissu normatif des sociétés de la modernité extrême ainsi que sur les conditions de sa (re)production. Ils cherchent à déployer les horizons du possible et articulent, au contact de domaines nouveaux de la philosophie politique et de l'éthique (écologie, Cultural studies, Animal studies), des perspectives encore peu explorées de la Théorie critique.Le lecteur trouvera dans cet ouvrage un aperçu représentatif des recherches qui se font actuellement en français et en anglais autour de l'héritage de la Théorie critique.
Dans l'année qui suivit le décès de sa première épouse Else von Stritzky, en 1921, le philosophe Ernst Bloch écrivit une sorte de journal qui livre quantité d'informations sur son œuvre et sa personnalité. Mais surtout, ce texte émouvant veut faire mémoire d'une femme exceptionnelle. Paru - seulement après la mort de Bloch, il donne un accès privilégié à sa philosophie de la mort et du Royaume.
La critique a chez Benjamin une double dimension : celle de la reconstruction méthodique de l'objet signifiant et celle de l'instauration d'un écart qui, préparé déjà par la distance historique, fait éclater son unité de sens. Ce geste, qui se fonde sur la philosophie du langage du jeune Benjamin, renvoie également à la théorie de l'histoire de sa maturité. Mais c'est dans la réflexion sur le concept de critique d'art qu'il élabore le paradigme intellectuel qui, au sein même de l'œuvre, prend appui sur la conception romantique d'une critique immanente à l'objet qu'elle achève.Loin des célébrations empathiques et des réactualisations superficielles qui ont souvent caractérisé la première réception française de Benjamin, l'objectif commun des textes ici rassemblés, est de réfléchir aux fondements théoriques du geste critique chez l'auteur, en revenant sur les sources littéraires et philosophiques de sa pensée.