Panem et circenses ! Si l'on répète à l'envi les mots de Juvénal, on se trompe en général sur le sens de l'expression " jeux du cirque " : il ne s'agit en rien des combats de gladiateurs, mais bien du spectacle sportif qui se déroulait dans le Grand Cirque de Rome et offrait des compétitions athlétiques et surtout hippiques. Ben Hur et non pas Spartacus. Et comme le sport antique est souvent identifié à la Grèce, en raison d'Olympie et du renouveau des jeux olympiques en 1896, on a aussi tendance à oublier que ce sont les Étrusques et non les Grecs qui ont le plus apporté aux Romains dans ce domaine : il était donc nécessaire de présenter ici diverses facettes du sport étrusque.Les jeux du cirque sont un moment essentiel dans la société romaine et les courses de chars, qui par bien des côtés évoquent notre football contemporain, s'affirment d'une incroyable modernité : un spectacle planétaire déchaînant les passions dans tout l'Empire romain, un Grand Cirque pouvant accueillir 150 000 spectateurs, une organisation en quatre factions qui avaient tout de nos grands clubs, enfin un culte de la vedette, les cochers de quadriges en l'occurrence, aux gains scandaleux, et qui étaient parfois transférés d'un club à un autre. " Allez les Rouges ! " criaient sur les gradins les supporters de cette couleur…
Ni la cité grecque, ce " club de citoyens " qui en excluait les femmes, ni les tragédies d'Eschyle et de Sophocle qui nous ont majoritairement légué des héros masculins, ne pouvaient laisser prévoir une œuvre aussi singulière que celle d'Euripide, dont le rôle des femmes est un indice majeur. Le livre déchiffre, au pied de la lettre, la seule expression grecque qui nous reste – en dehors des poèmes de Sappho – d'une intériorité féminine confrontée à la cité qui décrète le genre féminin incapable de penser, et de prendre part à la vie publique.Il s'agit donc de donner à entendre et à voir, à travers la diversité des figures et des œuvres, ce premier surgissement d'un "féminisme" dans l'histoire de notre modernité occidentale, grâce à une œuvre tragique qui lui ouvre sa scène: des femmes y prennent la parole pour se livrer, déplorer et dénoncer le regard et les discours qui sont portés sur elles. Accablées, mais inventives, elles se refusent à la servitude volontaire. C'est dire que le théâtre d'Euripide, contrairement à la réputation qui lui a été faite depuis le xixe siècle allemand, accomplit sa fonction dionysiaque: bousculant l'ordre établi, transgressant les frontières instituées, il démultiplie la parole pour faire entendre l'Autre, au risque de la terreur des Bacchantes. Il s'adresse au cœur de notre modernité.Le volume s'inscrit sous le signe des lavis de Colette Deblé, peintre, qui consacre son travail depuis 1990 à la représentation des femmes dans l'histoire de la peinture. Ses aquarelles fluides empruntent leurs figures féminines aux grandes œuvres originales qui les ont mises en scène – ici la peinture des vases grecs. Elles font transparaître, sous leurs singularités, une parenté vivante, comme les figures du chœur tragique chantent et dansent leur communauté multiple.
Nos connaissances sur les usages de la couleur et de la polychromie dans la peinture et la sculpture antiques se sont considérablement renouvelées grâce aux découvertes archéologiques récentes, notamment en Macédoine, et au perfectionnement sans cesse accru des méthodes d'analyse physico-chimique des matières colorées. En outre, la littérature descriptive a fait l'objet de nombreuses études ces dernières années. Le présent volume prend en compte le résultat de toutes ces nouvelles recherches.Les textes ici réunis couvrent un large spectre, allant des couleurs de la peinture au sens des couleurs chez les Latins en passant par le jeu des couleurs sur les matières. Idées reçues et évidences sont remises en cause : les couleurs ne se résument pas à des pigments, le jeu des matières et des couleurs exprime des valeurs symboliques et sociales complexes et fluctuantes.En prenant appui sur l'analyse comparée de textes philosophiques, rhétoriques et techniques, ainsi que d'ecphraseis d'époque hellénistique et impériale, les auteurs tentent de définir le rôle de la couleur et des matières précieuses dans la reconstitution imaginaire de l'œuvre d'art peinte ou sculptée et d'évaluer, de ce point de vue particulier mais aussi largement polysémique, grâce aux usages métaphoriques de la " couleur " certains aspects de la réélaboration du modèle classique entre l'époque hellénistique et l'Empire
Homère " maître de rhétorique " ou Homère " premier sophiste ", tel est le paradoxe d'une réception antique qui fait de l'aède de Chios le maître d'un idéal oratoire. Ce volume décline les différentes modalités selon lesquelles l'autorité d'Homère s'exerce ou se voit discutée, dans la formation rhétorique des élites d'abord, puis dans le discours des sophistes et des orateurs. Dans les multiples situations de communication auxquelles l'homme éloquent sait répondre – discours public, banquet, dialogue familier, cour impériale –, le Poète est souvent invité. Parler d'Homère, c'est se révéler homme de culture, mais c'est aussi cimenter cette culture, en empruntant, par les exemples et les citations homériques, un langage partagé par les Grecs, depuis l'Athènes classique jusqu'à l'époque byzantine.
Ce livre, délibérément multilingue, est un ouvrage de traduction et sur la traduction. Il poursuit le geste du Vocabulaire européen des philosophies. Dictionnaire des intraduisibles publié il y a dix ans, à présent réinventé en d'autres cultures. Il constitue un manifeste à la fois philosophique et politique pour la diversité des langues. La traduction, comme savoir-faire avec les différences, devient visiblement l'un des meilleurs paradigmes, sans doute aujourd'hui le plus fécond, pour les sciences humaines.
Célébré pour son " rire sérieux " et satirique, créateur de formes nouvelles, Lucien de Samosate est aussi l'auteur (l'inventeur ?) des " tableaux " d'Apelle ou de Zeuxis qui ont inspiré les artistes de la Renaissance en l'absence des originaux perdus. À côté de ces ecphrasis, qui sont autant de mises en scène de l'art du sophiste, Lucien soumet toutes sortes de réalisations antiques – picturales, sculpturales, architecturales – à l'évaluation du regard et du discours d'un homme de culture: il définit ainsi le rapport exemplaire que " l'honnête homme " se doit d'entretenir avec l'art.Expression d'un goût proprement grec dans un monde romain plus sensible au chatoiement des marbres, ce recueil associe des descriptions d'œuvres illustres (la Calomnie d'Apelle, la famille de centaures de Zeuxis, les Noces d'Alexandre et de Roxane d'Aétion, l'Héraclès gaulois, l'Aphrodite de Cnide) à des textes décisifs pour l'histoire sociale et culturelle de l'art et du regard (Le Songe, La Salle, Les Menteurs d'inclination, Zeus tragique, Les Portraits...).
Socrate et les " Présocratiques " dans les nuées d'Aristophane
Les Nuées, qu'Aristophane même considérait comme la plus " savante " ou " habile " de ses œuvres, inaugure avec éclat la longue histoire des rapports de l'intellectuel avec le monde. Le chemin qui conduit à l'abolition des dettes contractées par un fils dispendieux passe-t-il par celui des connaissances ? Le père endetté, qui répond au nom transparent de Strepsiade – M. Retourneur –, tente sa chance. En vain : c'est un lourdaud. Lui-même emberlificoté par un fils qui excipe de la leçon des philosophes pour le frapper, il se retournera finalement contre le " Pensoir ", l'école philosophique dont Socrate est ici le représentant attitré. La pièce d'Aristophane, avec la virulence propre à la comédie et les ressources propres au théâtre, parle de la relation entre la théorie et la pratique, mais aussi de celle entre les Nuées, divinités aussi suprêmes que complexes, et les simplets que nous sommes tous ; elle parle aussi de la langue et des théories philosophiques, dont elle construit l'unité sous-jacente et dénonce la complicité profonde, par-delà leur confrontation de surface. En fin de compte, la comédie se révèle aussi école de pensée. Platon saura s'en souvenir.
Identités religieuses et culture grecque dans l'Antiquité tardive
Les modernes ont souvent opposé les chrétiens à l'hellénisme. Les auteurs antiques eux-mêmes - qu'ils soient " Grecs " ou chrétiens - semblent avoir thématisé leur antagonisme. Que vaut cette ligne de fracture ? Qu'est-ce qu'être Grec à la fin de l'Antiquité ?Pour quelles raisons un chrétien hellénophone, passé par les écoles de l'Empire et nourri de paideia, ne saurait-il être un Grec, au même titre que les autres ? Qui donne, qui revendique et qui refuse ce titre - et pourquoi ? Les termes dans lesquels le sujet est posé ne sont ni simples, ni neutres. La notion d'hellénisme, qui peut paraître moins confessionnelle que celle de " paganisme ", est en réalité marquée par les conflits religieux des époques hellénistique et tardive. Ce sont les besoins de l'autodéfinition et l'élaboration de la polémique contre l'Autre qui conditionnent les rapports entre les chrétiens et " l'hellénisme ".Cet ouvrage porte une attention particulière au but poursuivi par les auteurs anciens dans chacune de leurs déclarations identitaires, entre langue commune et particularisme religieux.
Dans la Rome ancienne, la honte constituait un outil efficace de contrôle des comportements. Phénomène social, moyen idéologique, objet intellectuel, elle constitue une voie d'accès privilégiée aux mentalités et aux modes de pensée romains. Mais tout en se présentant aux modernes à travers le prisme trompeur d'une désignation uniforme, la honte recouvrait des réalités, des pratiques et des fonctions diverses : tantôt formalisée par les études savantes ou exploitée dans des œuvres littéraires, tantôt subie ou infligée dans la vie quotidienne ou sur la scène politique.D'un domaine à l'autre, d'une époque à l'autre, ce volume interroge l'unité de la notion sur le temps long de l'histoire romaine. Entre extériorité et intériorité, pensée réflexive ou expérience formalisée, l'idée d'une honte proprement romaine est ici mise à l'épreuve.
Conscience de soi et représentations de l'autre dans la Rome antique
Le renouvellement des études antiques a mis en évidence l'importance de la notion d'identité. Les populations indigènes soumises par les Grecs puis par les Romains, les phénomènes d'acculturation ont suscité l'attention, interrogeant la manière dont ces peuples étaient représentés par les vainqueurs. Si les questions d'identité ethnique et culturelle ont été bien étudiées dans le monde grec, tel n'est pas le cas dans le monde romain. Pourtant, la maîtrise d'un Empire immense est passée par l'intégration progressive de peuples très divers. Il s'agit donc dans ce livre non d'une mais de plusieurs identités, de la définition culturelle de la romanité et de la représentation, par les Romains, de l'altérité.
Les analyses rassemblées dans ce volume révèlent, au-delà des différences d'époque, de genre littéraire ou de langue, des constantes de lecture propres au monde antique, qui trouvent leurs prolongements jusqu'à l'époque moderne. À travers l'examen de concepts clefs (réécriture, modèle, tradition directe et indirecte, corpus) apparaissent différents scénarios de réception qui fondent pour les textes la possibilité d'une vie nouvelle.