" Rares sont les entreprises où vos collègues ne perdent jamais une occasion de vous soutenir ", indiquait le slogan d'une récente campagne de recrutement de l'Armée de terre française. Rares aussi sont les métiers où l'engagement requis comprend une telle extrémité; le choix de servir sous les drapeaux implique d'admettre l'éventualité d'avoir à donner ou recevoir la mort. Mais comment y parvient-on? Comment l'institution militaire s'y prend-elle pour transformer de jeunes civils en soldats professionnels prêts à se battre y compris jusqu'au sacrifice de leur propre existence?Fondé sur une enquête ethnographique conduite dans un centre d'instruction militaire auprès de recrues et de leurs formateurs, cet ouvrage interroge les modalités concrètes et enjeux de la fabrique des combattants. Devenir soldat nécessite d'incorporer des techniques et savoir-faire spécifiques, d'aguerrir son corps, d'accroître sa force et sa résistance au prix d'une discipline intense. Mais au-delà, il s'agit d'intégrer une communauté soudée et homogène, de " faire corps " autour de valeurs, de rituels et de traditions partagés qui dépassent le strict cadre de l'instruction opérationnelle. Homme de métier, le soldat est un homme qui doit faire la preuve de ses qualités " viriles ": courage, dépassement de soi et capacité à (faire) endurer la violence se trouvent ainsi au cœur de l'esprit de corps que l'on cherche à transmettre. En dévoilant la pluralité des enseignements militaires, cette recherche met au jour le caractère complexe et parfois ambigu d'une formation dans laquelle il s'agit tout à la fois d'apprendre à combattre et parader.À la croisée d'une ethnologie des savoirs, du corps sexué et des identités socioprofessionnelles, cet ouvrage propose un regard sur une institution politique de premier plan, aujourd'hui particulièrement visible dans l'espace social et pourtant encore largement inaperçue des sciences sociales.
Depuis une vingtaine d'années, le tatouage est devenu omniprésent dans les sociétés occidentales : il décore les peaux, défraie la chronique, préoccupe les chercheurs. Or, les études de ces derniers font la part belle aux significations que les personnes tatouées attribuent à leur modification corporelle sans jamais se pencher sur le pendant professionnel de cet engouement, pourtant visible à travers l'efflorescence des studios de tatouage. Qui sont les tatoueurs ? Des artistes ? Des artisans ? Leur travail répond toujours à une double nécessité : satisfaire les désirs d'une clientèle désormais majoritairement profane tout en réalisant les " plus beaux " tatouages. Mais quels critères, notamment esthétiques, guident la réalisation et l'exécution d'une image encrée ? Comment les professionnels de l'encrage négocient-ils avec les hommes et les femmes qui viennent leur soumettre leur projet ? En examinant les processus de production des tatouages, cet ouvrage met au jour la manière dont s'apprend, se reproduit et se renouvelle cet univers visuel. Il dévoile les qualités dont doivent faire preuve les aspirants pour gagner leur place dans ce monde et y construire une réputation d'" artiste-tatoueur ".
En Corse, dans les années 1970, une société villageoise s'accroche à la montagne. Elle y maintient, avec le concours de la diaspora, un modèle d'existence en commun largement hérité de son passé proche mais dont les évolutions en cours sur le littoral semblent préparer à terme la disparition. Ce serait alors la fin d'une longue histoire sur laquelle cette société avait gravé sa signature, à défaut d'y exercer sa mainmise. La Corse est, en effet, l'abri d'une civilisation dont le creuset est villageois. Les textes rassemblés dans ce volume dressent le portrait de certaines des institutions portant la marque de cette civilisation et reconstituent ses valeurs. Un idéal en organise le jeu ; il est cultivé dans chaque vallée, dans chaque communauté de village, dans chaque maisonnée : l'idéal de souveraineté.
Observées dans les villages du Lot et décrites d'une plume alerte et sensible, les manières de fleurir sont communes à toutes les provinces françaises. La plus ancienne correspond au modèle paysan, qui ignore la séparation des fleurs et des légumes et se fonde sur l'échange et le don avec les voisins. Le modèle fleuri, forgé par les concours, prévaut aujourd'hui dans les jardins privés comme dans l'espace public. Le plus récent est le modèle dit " naturel ", celui des amateurs de plantes vivaces, adeptes de la biodiversité. Il est encore le fait d'un petit nombre, mais il est adopté depuis peu par l'institution qui préside aux concours de fleurissement. Une institution dont Martine Bergues retrace l'histoire – jusqu'ici inédite – et dont elle analyse le fonctionnement et les ressorts idéologiques, tout en soulignant le rôle des professions horticoles et paysagistes dans l'évolution de la palette végétale et dans l'art de la mise en scène florale.
Par quelles opérations un édifice ou un objet se trouve-t-il intégré au corpus du patrimoine ? Quelles sont les étapes de la "chaîne patrimoniale", depuis le premier regard jusqu'à l'éventuelle obtention du statut juridique de "monument historique" ? Quels sont les critères mis en œuvre par les chercheurs de l'Inventaire pour décider que tel château, telle ferme, tel tableau d'église possède ou non une valeur patrimoniale ? Quels émotions animent les mobilisations des profanes en faveur des biens à préserver ? Et finalement, sur quelles valeurs fondamentales repose la notion même de patrimoine ?Telles sont les questions auxquelles répond de livre, à partir d'enquêtes au plus près du terrain. Car c'est dans le détail des procédures, des propos enregistrés, des scènes et des gestes observés que l'on peut réellement comprendre comment - c'est-à-dire pourquoi - les limites du patrimoine n'ont cessé, en une génération, de s'étendre, englobant désormais non seulement la "cathédrale" mais aussi la "petite cuillère" - selon les mots d'André Chastel définissant le service de l'Inventaire -, voire, tout récemment, la borne Michelin.Appliquant à la question patrimoniale les méthodes de la sociologie pragmatique, cette étude s'inscrit dans la perspective d'une sociologie des valeurs, tentant d'élucider ce qu'on entend aujourd'hui dans notre société par l'ancienneté, l'authenticité, la singularité ou la beauté - et ce qu'on en attend.
La belle ouvrage, le Tour de France, le secret… tout l'imaginaire du compagnonnage tient dans quelques pratiques et quelques symboles qui ont focalisé l'attention, épaississant un " mystère " compagnonnique et laissant dans l'ombre les questions qui auraient dû être premières : qu'est-ce qu'être compagnon ? Comment le devenir ? Et le rester ?Établi à partir d'enquêtes de terrain, de dépouillements d'archives et de récits de vie, cet ouvrage entend montrer les voies qu'il faut emprunter pour que se nouent de manière inextricable identité de métier, identité de compagnon et, enfin, identité d'homme viril. Ensemble, elles énoncent les droits de passage à l'âge d'homme chez les compagnons. C'est en ethnologue et historien que Nicolas Adell-Gombert interroge ces façons anciennes de faire et d'être rendant ainsi leur écho à ces ressorts muets, toujours agissants, de l'identité compagnonnique, ceux qui, sous l'apparat symbolique, chevillent au corps de l'homme et à sa pensée l'adhésion au compagnonnage.
L'accès des femmes aux pleins pouvoirs de police est récent. Depuis une trentaine d'années, les policiers de sexe féminin suivent la même formation, sont dotés des mêmes habilitations judiciaires et du même armement que les hommes. S'agit-il d'un changement profond dans la conception de l'ordre public ? Comment s'intègrent-elles à la sociabilité virile des commissariats ? Telles sont quelques-unes des questions auxquelles l'auteure répond dans cet ouvrage pionnier qui constitue la première recherche française d'ampleur sur la féminisation de la police. L'étude fouillée – qualitative et quantitative – permet de suivre et de comprendre les trajectoires des "femmes policiers", de la fabrique familiale de la vocation à la gestion de la carrière, de la scolarité aux coulisses du métier, du travail sur la voie publique aux arrangements avec le conjoint, de l'accomplissement des tâches nobles au "sale boulot". Elle montre comment, en adoptant les codes virils en vigueur, ces femmes tentent d'échapper aux stéréotypes de fragilité et d'indisponibilité qui leur sont encore trop souvent accolés. A l'originalité d'une démarche attentive à la mobilité de genre, s'ajoute celle d'une approche compréhensive des principes fondateurs de l'institution policière.
Sexe et mort dans la formation des internes en médecine
Des travaux pratiques d'anatomie et de dissection - plaçant les jeux autour du sexe et de la mort au principe même de cet apprentissage - aux " revues " et post-revues " spectaculaires des salles de garde en passant par les rituels qui rythment le temps de l'internat sur le modèle des " grands " passages biographiques - " baptême " et " enterrement " du néophyte, se dessine un parcours coutumier indissociable de l'acquisition des savoirs propres à la discipline médicale. Conduite majoritairement auprès d'anciens internes des hôpitaux français à Toulouse, Montpellier, Strasbourg et Paris, la recherche d'Emmanuelle Godeau n'exclut ni le comparatisme (U.S.A, Suisse, Scandinavie), ni la profondeur historique.
Le musicien entre travail artistique et critique sociale
Rap, techno, électro, house, jungle, trip hop... Ces styles musicaux font partie du paysage discographique français depuis la fin des années 1990. À travers les succès commerciaux retentissants ou les coups d'éclat de leurs animateurs, ils sont apparus comme des fenêtres ouvertes sur les plaisirs, les désirs, et les maux de la jeunesse. L'auteure entraîne le lecteur loin des clichés réducteurs associant ces cultures musicales à une "perte de repères" ou à une mauvaise humeur à la mode. En peignant d'une manière vivante les relations de travail et au travail dans un milieu artistique fondé sur la mobilité, l'ouvrage permet de comprendre les évolutions récentes du monde du disque vers une réactivité et une souplesse toujours plus grande.
Bourgeoisie terrienne, fermiers, pisciculteurs, chasseurs, écologistes, néo-ruraux peuvent-ils cohabiter sur un territoire dont ils se disputent l'usage ? Comment, en Dombes, autour de l'étang qui se cultive, se pêche, se chasse et se préserve, se tisse le lien social entre ces groupes antagonistes ? Par l'attention portée aux multiples et subtiles hiérarchies, aux rapports de pouvoir qui traversent la société dombiste, l'auteur nous amène dans ce livre au plus intime du fonctionnement complexe des sociétés rurales françaises d'aujourd'hui. Avec cette analyse fine d'un système social entièrement sous tensions, où les réseaux de solidarité et d'affrontement se négocient et se redessinent en permanence, l'ouvrage dévoile comment une société locale se structure et s'invente dans la confrontation, comment elle se forme et se transforme avec et sous le regard des citadins.
Qu'est-ce qu'être père ou mère, beau-père ou belle-mère dans les familles recomposées ? Est-ce donner la vie, donner son nom et ses biens, nourrir et élever un enfant et le chérir, l'adopter ? Qu'est-ce qu'être frère ou sœur ? Avoir eu les mêmes parents biologiques, avoir partagé son enfance dans un même lieu ? Des relations amoureuses et sexuelles entre "quasi" frères et sœurs sont-elles licites ? À travers l'exploration ethnographique d'une trentaine d'histoires familiales, Agnès Martial met au jour dans ce livre l'incertitude des termes, des rôles et des statuts qui composent la trame familiale recomposée dans notre société.
Bijoux fantaisie, exotiques ou " ethniques " contre bijoux précieux ou " de famille ", les bijoux se conjuguent aujourd'hui à tous les modes au mépris des frontières spatiales et temporelles. Loin de réduire les bijoux à la somme de leurs usages, à leur dimension historique ou esthétique d'objets précieux, l'auteur cherche à en capter les éclats fugaces entre la présence et l'absence, le secret et le dévoilement, l'oubli et le souvenir.Dans tous les cas, acheter un bijou, l'offrir, le vendre, le transformer, le perdre ou l'abandonner sont autant d'actes par lesquels un individu se pose comme personne et affiche la nature des relations qu'il entretient avec les autres.