Que reste-t-il du Banquet platonicien, plus de deux mille ans après sa parution ? Le modèle établi par Platon, associant repas et causerie philosophique, a essaimé dans la littérature au point de devenir un sujet de prédilection associant deux plaisirs conjoints, celui de l'esprit – par le verbe et l'art de la conversation – et du corps – par les réjouissances des papilles. Mieux, on parle gastronomie, on évalue les plats, on distille la succulence. Ce volume tend moins à mesurer l'héritage de Platon dans la littérature qu'à saisir les multiples métamorphoses du motif du banquet littéraire dans son association subtile avec les débats d'idées. Du XVIe au XXe siècle, le voyage proposé au menu fera frissonner les convives, du risque de cannibalisme aux débats les plus raffinés menés par les dandys ou les théoriciens de la gastronomie et de la cuisine : le banquet s'y révèle à la fois sujet et objet, reflet de son époque, miroir du palais et des fantasmes d'artistes. Car, si l'appétit vient en mangeant, il vient aussi en dissertant.
Il est un pays bien étrange, situé on ne sait où exactement en Europe centrale ou balkanique: la Ruritanie, ancêtre de la Syldavie et de la Bordurie de Tintin.Qu'est-il au juste? Un pays imaginaire qu'on voit apparaître pour la première fois à la fin du XIXe siècle dans Le Prisonnier de Zenda, écrit par l'Anglais Anthony Hope. Or le succès de ce roman a généré des épigones aux multiples noms, au point de donner naissance à un genre littéraire, la romance ruritanienne. Le fait est connu en Grande-Bretagne mais très peu étudié en France, alors même qu'il a existé une abondante production ruritanienne française durant le premier XXe siècle.Le présent ouvrage se propose d'exposer les codes ou les recettes d'un genre littéraire à succès à travers une étude détaillée des noms de pays, des noms des personnages et des scénarios types. Plus profondément, il rend compte des rapports entre la Ruritanie et l'Europe existante. Les noms et les intrigues sont très manifestement influencés par l'actualité de la période étudiée, qui va de la fin du XIXe siècle à la Seconde Guerre mondiale. On passe d'un pays de conte de fée ou d'opérette inspiré des Märchen allemands au pays angoissant de Dracula: originellement germanique, la Ruritanie se déplace dans les Balkans troublés. Le sujet permet donc d'éclairer les conceptions et les préjugés d'auteurs britanniques et français; il renvoie à des divergences, des clivages, et même des fractures, d'une Europe à l'autre.
Le concept de " visagéité ", défini par Gilles Deleuze et Félix Guattari, est un préalable essentiel à toute analyse des stratégies d'extraction du sujet en dehors des normes. Cette notion a d'ailleurs été créée dans le but précis de questionner les rapports du sujet au corps et donc à l'identité. Audacieux, étrange et dérangeant, le rapport entre " inconvenant " et " décentrement " souligne combien les littératures et productions culturelles qui sortent du cadre et de l'ordre établi dérangent et bousculent les standards.Les travaux réunis dans le présent ouvrage s'attachent à analyser les stratégies de " remise à l'ordre " ou de " retour au centre " qui ont été déployées pour faire rentrer dans le rang du convenu, du convenable et de la visagéité, les créateurs même de l'inconvenant. " L'invisibilité et la visibilité " sont étudiés au prisme de " la visagéité de l'inconvenant " dans le domaine des arts (peinture, cinéma, danse), de la littérature, des relations interculturelles et de la ruralité et scrutent avec minutie les représentations protéiformes que peut recouvrir l'inconvenant.
Écrire serait l'épicentre du jour, Ce titre (paru en 2019 chez Creaphis) auquel renvoie celui de ce volume dit bien l'intensité et l'engagement d'une autrice qui, depuis deux décennies, a publié dix romans, des recueils de nouvelles, des essais et des entretiens. Récompensée par plusieurs prix (entre autres le Goncourt de la nouvelle et le Renaudot) elle occupe désormais une place majeure dans la littérature hexagonale. Nous avons voulu explorer cette écriture, et nous sommes entrés clandestinement dans " l'atelier ", nous avons observé Marie-Hélène Lafon " à l'établi ", comme elle aime à dire. Les études réunies ici rendent bien compte du double projet de la romancière: témoigner d'une société rurale " au bord de l'obsolescence " et faire œuvre littéraire, par un travail exigeant sur la langue. Le volume est couronné par un bouquet d'hommages qu'ont offerts à Marie-Hélène Lafon quelques amis écrivains: Fabienne Jacob, Monique Jouvancy, Michel C. Thomas, Luc Lang et Jérôme Meizoz.
Walter Benjamin, dont la stature philosophique est unanimement célébrée, ne mérite-t-il pas aussi d'être pleinement reconnu en tant qu'écrivain ? Son œuvre, au confluent de la philosophie, de la critique et de la création littéraire, en appelle à une approche elle-même pluridisciplinaire, que ce volume entend mettre en œuvre. Parmi les traits qui caractérisent l'écriture de Benjamin, l'usage d'images originales – métaphores, allégories, symboles – et de ce qu'il nomme les " images de pensée " tranche avec un certain canon de l'écriture philosophique. Or, si la pensée benjaminienne de l'image visuelle a été souvent commentée, son usage des images textuelles, littéraires ou philosophiques, l'est beaucoup moins. Suggestives et stimulantes, elliptiques et hermétiques, ces images s'inscrivent dans une dynamique de renouvellement de la pensée critique en libérant la dimension créatrice de l'écriture, nous invitant à une lecture poétique et esthétique.L'objectif de ce volume est ainsi d'attirer l'attention sur le pouvoir critique des images benjaminiennes, afin d'analyser leur efficacité discursive, leur caractère irréductible au concept et leur valeur à la fois philosophique et littéraire.
Abeilles, papillons, fourmis, coccinelles… les insectes ont investi de longue date les livres pour enfants mais leur présence dans ce domaine éditorial n'a pour l'instant fait l'objet, en France, d'aucune étude monographique, comme si ces " vivants minuscules " représentaient la catégorie la plus excentrée de l'animal et du nonhumain.L'ouvrage suit un parcours en cinq étapes. La première partie interroge leur présence dans les livres pour enfants, les trois suivantes les recherchent dans certaines catégories littéraires – fables et contes, classiques pour la jeunesse, livres d'images – la dernière s'attache aux enjeux symboliques de la rencontre entre l'insecte et l'homme.Se pencher sur des êtres si différents et d'une telle diversité invite à questionner aussi bien la condition humaine que la condition animale et les modalités du vivant, devenues aujourd'hui une préoccupation cruciale. L'ensemble de l'ouvrage vise à montrer à quel point le chétif animal qui paraissait au premier chef " pauvre en monde " se révèle finalement, sous la loupe de la littérature, " bon à penser ".
Alexander Kluge est l'un des grands noms de la pensée et de l'art allemands des années 1960 à nos jours. Écrivain, cinéaste et plus récemment producteur de télévision, cet expérimentateur en matière d'écriture et de médias n'a pas hésité, encore récemment à Paris, à souligner combien la lecture de La Symphonie pastorale d'André Gide ainsi que le bref épisode d'un séjour à Paris, en 1959, auraient stimulé sa vocation d'écrivain. Il a montré également combien le cinéma de la Nouvelle Vague a pu jouer un rôle déterminant pour le Nouveau Cinéma allemand, courant dont il reste l'un des représentants les plus prolifiques, tant sur le plan de la théorie que sur celui des réalisations. Fût-elle conditionnelle, l'affinité qu'il déclare éprouver pour la culture française et son histoire, d'Astérix le Gaulois au Général de Gaulle, de la Chanson de Roland à Michelet, n'a fait jusqu'à ce jour l'objet d'aucune étude exhaustive. C'est ce manque que viennent combler les dix-huit études ici rassemblées, auxquelles s'ajoutent six textes de Kluge traduits pour la première fois en français.L'ensemble est complété par un DVD où se trouvent recueillis un film capital sur les rapports entre l'Allemagne et la France, Marianne & Germania, ainsi que quatre courts métrages centrés sur le personnage de Carmen.
Quand le " chez soi " se confond avec le lieu de l'activité professionnelle, alors il en va d'une manière originale d'" habiter l'ailleurs " : un ailleurs qui échappe au moi, au cercle de l'intime pour s'ouvrir sur un investissement socialisé de l'espace privé.Parce qu'ils font l'expérience de vivre et travailler au même endroit, personnages romanesques ou théâtraux, écrivains ou peintres interrogent les " lieux du quotidien " jusqu'à engager leur reconfiguration dans une singularité souvent riche d'enseignements sur les effets d'un confinement, choisi ou imposé.Les littératures romanesques et autofictionnelles mais aussi les textes plus personnels, épistolaires et mémoriels (carnets et journaux intimes), des XIXe et XXe siècles notamment, sont nombreux à témoigner de l'entrelacs des relations spatio-temporelles entre le professionnel et le privé à travers un habitat partagé. Là, l'intimité et la socialité d'un même individu s'interrogent, s'interpénètrent dans un lieu chargé de valeurs symboliques, cultivées ou induites, significatives d'une identité personnelle et professionnelle.
Dans une représentation traditionnelle, l'Amérindien est souvent associé à un monde antérieur ou extérieur à la modernité. Évoqué comme un être disparu des temps présents, il est relégué à un passé pétrifié, à un éternel présent ethnographique ou à l'univers cyclique et atemporel des mythes. Comment ne pas y voir une tentative de lui nier toute possibilité de contemporanéité avec celui qui le représente ?Cet ouvrage dépasse le principe d'une " histoire à sens unique " pour convier le lecteur à admettre de multiples perspectives sur le temps social et historique, accentuant les liens entre les œuvres ici analysées, la lutte politique des peuples autochtones et le rachat d'un passé historique traversé par les tensions inhérentes au processus de " colonisation du temps ".Réunissant des spécialistes du Brésil, États-Unis, Mexique et Québec, cet ouvrage se penche sur des œuvres aussi diverses que le roman chez Eliane Potiguara, Daniel Munduruku, Milton Hatoum, Carmen Boullosa, Louise Erdrich, le témoignage chez Rigorberta Menchú et Elisabeth Burgos, les photographies d'Ângela Ferreira, le théâtre d'Ondinnok, ou les discours politiques d'un Jair Bolsonaro.
Champ complexe et dynamique, les études de genre se sont développées aux XXe et XXIe siècles par le biais d'intenses échanges entre des critiques, artistes et auteur·e·s s'exprimant depuis l'Europe et l'Amérique du Nord. Si un certain nombre de critiques l'ont reconnu, il reste à étudier de façon systématique ces échanges dans l'ensemble des littératures de langues européennes de l'espace atlantique – en intégrant, donc, les écritures des Suds. Afin d'inaugurer cette vaste étude comparatiste, le présent ouvrage s'intéresse aux constructions protéiformes des identités féminines dans l'espace littéraire atlantique. Il aborde les conditions de possibilité d'une histoire littéraire transatlantique au féminin, les concepts qu'elle convoque, les œuvres et les figures qui la constituent ainsi que la poétique transculturelle qu'elle permet de penser.
Cette anthologie rassemble les figures emblématiques de la littérature contemporaine du Frioul de 1945 à 2017, afin de montrer sa vitalité et sa puissance d'évocation.Envol lyrique, contemplation du paysage, célébration de l'âme d'un peuple, épopée des humbles face à l'Histoire, telles sont les modalités expressives et thématiques de romanciers et poètes qui gagnent à être connus de tous ceux qui aspirent à mieux cerner la culture des minorités allophones en Europe.Clairement structuré et présenté, ce volume bilingue inclut les originaux en frioulan suivis de leur traduction en étant assorti de commentaires qui mettent en exergue la beauté et la profondeur des œuvres sélectionnées.
La poésie d'Emily Dickinson dévoile un lyrisme théâtralisé: chaque poème devient une scène où évolue une voix qui se travestit, s'altère, se diffracte en divers échos. Très influencée par l'œuvre de Shakespeare, mais également par la théâtralité ambiante de l'Amérique victorienne, Dickinson met en scène le sujet lyrique dans ce qu'il a de plus théâtral. La théâtralité de référence étant celle du dramaturge et poète élisabéthain, cette " contamination " du théâtre nous incite à élargir notre conception du lyrisme. Si l'on observe des résurgences ironiques d'une conception traditionnelle du lyrisme comme un épanchement intime, ce dernier est surtout à envisager en termes de dynamique, d'énergie. Le théâtre est pour Emily Dickinson le lieu autre où le lyrisme s'altère plus avant, la structure nodale de l'écriture lyrique et son cœur battant, le lieu de sa revitalisation.