Professeur à Paris puis à Oxford, Alain Viala a profondément renouvelé l'approche des faits littéraires par ses ouvrages – Naissance de l'écrivain en 1985, La France galante en 2008 – ou les travaux collectifs qu'il a co-dirigés: Dictionnaire du littéraire, Histoire du théâtre français… Des contributeurs enthousiastes lui rendent hommage dans des formes choisies, entre le poème, le témoignage affectueux et la réflexion érudite s'inscrivant dans le prolongement des concepts qu'il a imposés en histoire, sociologie et théorie de la littérature. L'ensemble est ponctué de quelques textes d'Alain Viala, qui dessinent un parcours, menant des postures d'écrivains qui font la dynamique centrale du champ littéraire jusqu'aux bizarreries qui occupent les marges de ce champ. Ce trajet suit le fil des opérations critiques qui ont marqué de manière décisive la pratique des études littéraires : historiciser la littérature, mettre à jour les mécanismes de la valeur, exhiber les tensions et leur fécondité, traverser les frontières, s'engager… Le trajet d'une révolution qui refuse (l'histoire littéraire des grands hommes), revendique (une méthode), désordonne et brouille pour créer du nouveau.
Lire et écrire des romans console-t-il? Comment, de quoi? Depuis les travaux d'Umberto Eco consacrés au roman populaire dans les années soixante-dix, la question était quelque peu tombée en désuétude, au profit d'une vision plus "brutale" de la littérature. Mais parce que notre époque demande à nouveau à être rassurée, parce que les outils des sciences humaines se sont affinés, et parce que le dialogue entre "grande" littérature et littérature populaire est de plus en plus fécond, il devenait à nouveau légitime d'examiner la portée de la consolation, notamment dans les oeuvres romanesque. C'est l'objet du présent volume, à travers une série d'études menant de l'Antiquité au roman le plus contemporain, français ou étranger, par le biais d'un riche dialogue interdisciplinaire, nourri par les approches les plus diversifiées, tant théoriques, esthétiques que sociologiques, spychanalytiques ou anthropologiques. à travers l'étude de cette notion, il s'agit aussi de revenir sur les fonctions de l'art en général.
Au tournant du XIXe et du XXe siècle se produisit une révolution dans notre rapport à la littérature, avec la perte du sentiment de la transparence du langage. Cette modification de la sensibilité allait provoquer une crise sans précédent de la critique littéraire et favoriser l'émergence d'une réfl exion de type formaliste, dont le New Criticism anglo-saxon et la Nouvelle Critique française peuvent apparaître, chacun en son temps et à sa façon, comme les plus fameux exemples. Tel est le processus que ce livre s'attache à décrire en une histoire comparée de la critique littéraire française et anglo-saxonne entre 1889 et 1945, à travers le prisme des deux plus illustres fi gures d'écrivains critiques de l'époque : Paul Valéry et T.S. Eliot.En analysant la quadruple crise alors traversée par la critique littéraire (crises de l'objet, des valeurs, de la fonction et du discours critiques) et en mettant en évidence les singuliers réseaux d'influence unissant la critique anglo-saxonne à la critique française, c'est tout un contexte philosophique, littéraire et institutionnel que cette étude réussit à mettre en place.
Prenant appui sur une formule d'Emmanuel Hocquard, on pourrait dire que, dans la lignée de nombreux Modernes (de l'auteur des Petits Poèmes en prose à Beurard-Valdoye, en passant par le Rimbaud d'Une saison en enfer, Faulkner, Koltès ou Prigent)– et cela sans prétendre établir aucun rapport de stricte équivalence –, les fictions de Bernard Desportes ne ressortissent ni à la prose ni à la poésie, elles sont autrement (autopoéfictions). Sont encore autrement ses écritiques, qui, se ressourçant à l'inactuelle critique " partiale, passionnée, politique " que préconisait Baudelaire, détonent pour mieux détonner dans l'actuel PLF (Paysage littéraire français).Aussi convient-il d'appréhender Bernard Desportes autrement. Autrement que par une critique simplement et exclusivement journalistique ou académique. On s'interrogera ici sur la fréquente réduction du modernisme à l'avant-gardisme : pour n'être pas étiqueté " avant-gardiste ", doit-on forcément être exclu de toute modernité ?
À la fin de La Place, Annie Ernaux nous fait part de sa déception à la lecture d'un volume dont le titre, L'Expérience des limites, était prometteur : à son plus grand dam, " il n'y était question que de métaphysique et de littérature ". Or, l'expérience des limites, elle a le sentiment de l'avoir connue dans sa vie de jeune fille et de femme issue d'un milieu populaire. L'expérience des limites, elle l'a menée dans une œuvre pluridimensionnelle (romans autobiographiques, autosociobiographies, journaux intimes et " extimes ") en explorant son entre-deux social et se jouant des frontières entre genres et disciplines.Les participants à ce premier colloque international consacré à l'oeuvre d'Annie Ernaux, venus de multiples horizons géographiques et critiques, ont analysé les aspects les plus divers de l'entre-deux : sociologiques, psychologiques ou psychanalytiques, thématiques et (inter)textuels – sans oublier de s'arrêter sur ces formes auto(socio)-biographiques particulières qu'offre l'écriture journalière. La présence de l'auteur, qui est intervenue activement et a pris part à une table ronde, a renforcé l'intérêt des débats. Au reste, la confrontation de la voix auctoriale avec différentes manières de critiquer n'est pas sans importance : c'est une façon d'insister sur la nécessaire circulation du sens entre auteur, textes et lecteurs – instances que la critique n'a que trop souvent disjointes.
Les théories relationnelles s'inscrivent très rarement dans la recherche d'une " théorie du langage " inaugurée par Saussure. La dimension voire l'ambition relationnelle de maintes théories obligent à prendre en compte le langage. Malheureusement, ces " tournants linguistiques " s'achèvent généralement hors langage. La critique littéraire, la linguistique, la phénoménologie, l'esthétique, etc., proposent le plus souvent une relation critique aux œuvres de langage sans une critique de la relation dans et par le langage. En cherchant au plus près l'articulation d'une critique de la relation et d'une critique des œuvres qui font le plus la relation – en l'occurrence les poèmes dits d'amour, il semble possible de reconsidérer les meilleures théories relationnelles, du moins de ne pas perdre l'attention que toutes les théories relationnelles disent porter au langage. Le gain d'une telle approche critique serait double : donner à l'ambition relationnelle des théories critiques soucieuses du langage une perspective anthropologique qui confère au langage comme activité de subjectivation le rôle d'interprétant (Benveniste) qui lui revient ; sortir l'intérêt pour les oeuvres de langage des catégories réductrices et séparatrices traditionnelles (œuvres vs. documents ; lyrisme vs. formalisme; etc.) pour les considérer comme les plus puissants opérateurs de transformation de formes de vie en formes de langage et l'inverse. Avec un peu d'humour, on ne parlera donc plus de " poèmes d'amour " mais de poèmes qui font l'amour – plus qu'ils ne le disent puisqu'ils l'inventent. Au-delà, on observera que tout le langage résonne alors de tels poèmes. À condition qu'on sache les écouter.
Si la lecture philosophique des grandes oeuvres littéraires est aussi ancienne que la philosophie elle-même, ce n'est qu'assez récemment que la question du rapport entre littérature et philosophie s'est imposée, dans la critique littéraire, comme un objet de réfl exion à part entière. Cet ouvrage s'inscrit dans ce nouvel horizon de recherche. Il s'agit de montrer la manière dont se noue le dialogue entre l'écriture d'une oeuvre littéraire et une pensée qui l'habite ou la traverse. Que devient une matière spéculative lorsqu'elle rencontre la littérature ? Sous quelle forme le philosophique intervient-il dans le texte littéraire ? À quelles conditions, et sous réserve de quelles altérations, un " contenu de pensée " se transmet-il littérairement ? Les contributions de ce recueil couvrent ainsi un champ très large, qui va de la poétique à l'herméneutique des textes littéraires. La Fontaine, Diderot, Laclos, Lewis Carroll, Proust, Musil, Péguy, Michaux et bien d'autres y sont convoqués. Les unes s'emploient à méditer sur les frontières mouvantes, mais plus persistantes qu'on ne le dit parfois, de la littérature et de la philosophie ; d'autres s'intéressent à la création de formes nouvelles, hybrides, dans lesquelles la pensée se révèle indissociable d'une poétique ; certaines sont attentives à la mise en cause de la philosophie – ou des philosophes – par les romanciers ; d'autres enfin s'attachent à illustrer une lecture philosophique des œuvres littéraires, pour en éprouver les limites ou la fécondité. Tous les articles ont en commun le refus d'une conception " acosmique " de la littérature comme d'une approche trop étroitement formaliste de la critique