Ce numéro reflète les nouvelles inflexions de la revue, qu'illustrent la biographie d'une figure emblématique de la vie politique nigériane et un écrit réflexif sur le positionnement du chercheur pendant et après l'enquête. Il explore aussi des temps d'effervescence ou de crise et leurs multiples effets: pandémie de Covid-19 au Burkina Faso, guerre de 1990 au Rwanda, conflicts fonciers au Mali, miliciarisation dans le Congo postrévolutionnaire ou encore web-prédication musulmane en Côte d'Ivoire post-crise. L'hommage à Jean-Louis Boutillier témoigne de l'exceptionnalité d'une carrière et de la puissance de l'anthropologie pour décrypter le monde social.
Imaginaires de la liberté, expériences d'émancipation
La notion de liberté est aujourd'hui au centre des réflexions émergentes au sein des études africaines. Certains représentants des études postcoloniales, à l'instar d'Achille Mbembe, l'ont placée au centre d'un processus de resignification des figures de l'" esclave ", de l'" indigène " et du " colonisé "; ils s'attachent ainsi à revaloriser la capacité du black thought à réconcilier " le mode de la liberté à travers une critique de sa matière ".À partir du contexte de l'Afrique équatoriale postcoloniale, Joseph Tonda affirme que dans les traditions politiques africaines, on reconnaît le rôle central joué par la matérialité de la consommation. Cela s'inscrit dans un questionnement plus large sur la constitution du sujet dans le cadre de l'impérialisme postcolonial, celui où les êtres humains seraient submergés par des images qu'ils auraient eux-mêmes générées. Cette thèse sur la liberté au cœur de la pensée africaine contemporaine peut être d'ailleurs nourrie par d'autres éléments disséminés dans la littérature africaniste. L'analyse de la construction éthique des sujets dans la vie quotidienne a amené les anthropologues féministes et du politique à discuter de la liberté dans des contextes autres que l'Occident.
Dans les débats publics en Europe, les migrations africaines, principalement abordées sous l'angle de flux à contrôler, occupent une visibilité sans commune mesure avec leur réalité statistique. Les politiques répressives menées depuis quarante ans, et leurs effets bien au-delà des limites territoriales des États, ont fait l'objet de nombreux travaux. Les dynamiques dans les sociétés d'émigration ont aussi été scrutées: un panorama des imaginaires, variables, des aspirations au départ, souvent contrariées, a été dressé. Les transformations des projets migratoires, qu'ils soient familiaux ou individuels, au prisme des dispositions légales adoptées à des milliers de kilomètres de là ont été finement observées.C'est dans ce champ dynamique des études migratoires, attentif aux manières dont une gouvernementalité globale des migrations s'immisce dans le quotidien de groupes et d'individus, que ce numéro se situe. Concernant l'orientation théorique, nous considérons les dynamiques de mobilité comme des objets importants dans un monde globalisé, mais aussi comme des entrées fortes pour comprendre les sociétés africaines dans leur épaisseur sociale et historique.Ce numéro met en avant une sociologie fine des différents acteurs des actions de prévention des migrations, faisant ressortir la complexité des positions des personnes engagées dans la lutte contre les migrations clandestines, mais également de celles ciblées par ses campagnes de sensibilisation. Ainsi, il permet une anthropologie de la globalisation à travers l'étude des points de circulation de ressources, de discours et de savoir-faire que constituent de telles actions.
Les débats autour des restitutions des biens culturels sont aussi anciens que les spoliations. En 2017, le discours du président Macron, suivi du rapport Sarr-Savoy (2018) et d'un projet de loi sur la restitution de biens culturels au Bénin et au Sénégal (2020), ouvre en Occident une nouvelle séquence de débat sur la légalité et la légitimité des restitutions. Dans les pays africains concernés, la restitution est parallèlement perçue comme un enjeu pour l'imaginaire national, une éventuelle coopération culturelle sincère ou un espoir touristique.La littérature scientifique atteste de cette divergence d'appréciation et porte principalement sur les questions historiques, juridiques ou politiques et sur la restitution du point de vue des acteurs occidentaux et intergouvernementaux. Des chercheurs et des artistes interrogent la violence des exhibitions postcoloniales, les mémoires douloureuses d'objets en exil ou en diasporas. D'autres travaux examinent le rôle des musées sur le continent africain, leurs publics touristiques ou leur avenir, des processus de " démuséalisation " aux diverses formes de resocialisation des objets.Ce numéro propose de déplacer la focale: 1) de l'Occident aux pays africains concernés, 2) des questions de restitution aux problématiques du retour, 3) de la vision muséocentrée aux rôles des diasporas et du tourisme, 4) des instances et autorités officielles du patrimoine aux lieux, récits et transmissions considérés comme marginaux, secondaires ou officieux. L'objectif est donc d'étudier les enjeux politiques, les rôles économiques, les usages sociaux du retour des objets depuis les pays concernés à travers trois thématiques:1- Enjeux politiques et identitaires des mobilisations pour la restitution.2- Dispositifs culturels et justifications économiques et marchandes du retour.3- Mémoires et (ré)appropriations socialesSi les débats sont focalisés sur les restitutions en Afrique francophone, ce numéro souhaite s'ouvrir à tous les mondes africains pour éclairer les différents contextes de spoliations coloniales, les disparités postcoloniales, la diversité des mobilisations. Les articles documentant par des enquêtes les demandes de retours, les accueils effectifs et l'analyse des termes locaux en usage y sont vivement appréciés. Les articles associant des acteurs impliqués au travers d'entretiens ou de coécritures sont privilégiés.
Dans ce numéro:Faire du terrain en femme riche et métisse au Burundi.Transformations de l'industrie du cinéma et de l'audiovisuel en Côte d'Ivoire depuis 1961.Initiatives endogènes de protection civile et conceptions locales de la paix au nord?du Cameroun.Prise en compte des Pygmées dans la gestion des ressources forestières en Afrique centrale
La violence du régime colonial au Congo, mise en discours et en images, est étudiée par un réexamen des procès-verbaux de la commission d'enquête internationale constituée en 1904 pour juger les atrocités commises par les compagnies d'exploitation du caoutchouc (Rosario Giordano). Face à l'exploitation des ressources et ses conséquences, l'imaginaire collectif s'exprime par la réappropriation de signifiants globaux. Une vidéo en ligne, devenue virale à l'échelle du continent africain, montre une créature mi-humaine mi-reptile, qui aurait été capturée par des ingénieurs chinois en charge de la construction d'un barrage en Guinée. Les conditions de réception de ces images et récits associés forment un concentré d'interrogations et d'inquiétudes (Julien Bondaz & Benjamin Frerot). En Éthiopie, l'emprise du marché global sur l'agriculture, longtemps liée à la production du café, s'est déplacée sur la culture d'un arbrisseau aux propriétés amphétaminiques, le khat. Malgré sa prohibition dans de nombreux pays, les filières d'exportation se déploient et touchent tous les échelons de la société (Céline Lesourd). Dans l'archipel du Cap-Vert, la consommation d'alcool de canne (grog) traverse toutes les couches sociales, par des consommations festives où les pratiques de séduction mettent en jeu et questionnent les relations de genre (Justine Masseaux & Pierre-Joseph Laurent). Aux États-Unis, les arrivants africains doivent s'inscrire dans les catégorisations identitaires racialisées en requalifiant leur identité africaine et leur " blackness " en fonction de représentations stéréotypées de l'Afrique et de diverses situations d'interaction avec les Afro-Américains (Olivier Leservoisier & Bruno Moynié). Au Nigéria, dans le foisonnement créatif des usages et recompositions des codes linguistiques dans le domaine musical, l'usage croissant de la glossolalie comme phénomène ésotérique par les chanteurs de gospel participe d'une reformulation postmoderne des dogmes et usages du christianisme (Floribert Patrick C. Endong & Eugenie Grace Essoh Ndobo).
Ce numéro a pour objectif d'analyser les liens entre classes sociales et religiosités islamiques en Afrique (subsaharienne et Maghreb). Cette approche se veut innovante face à une littérature scientifique qui étudie habituellement la manière dont les musulman.e.s vivent leur religion par le prisme des courants dogmatiques, différenciant dans une quête de classification les pratiques soufies, salafistes, réformistes, etc.L'intérêt ici est de changer d'angle d'observation: appréhender les religiosités islamiques par le biais d'une appartenance socio-économique, comme le fait depuis longtemps la littérature sur le catholicisme, permet d'interroger autrement les logiques d'adhésions aux diverses pratiques islamiques, et d'observer les rapports et les distinctions de classes par le biais de ces religiosités. Le cas de l'Afrique est intéressant dans le sens où, même si la notion de classes sociales y est interrogée par les sociologues et les économistes depuis les Indépendances, elle reste peu explorée. Enfin, l'ambition est d'apporter une attention particulière (mais pas forcément systématique) aux rôles joués par les femmes de classes sociales différentes dans la construction des normes de " bonnes religiosités ".
Ce Varia contient notamment des articles sur la jeunesse non scolarisée de Mayotte et donc l'exclusion et le rapport d'altérité sous-jacents, sur le pouvoir masculin et la discrimination féminine en milieu universitaire au Burundi, Cameroun et Gabon, sur les chants comme savoirs historiques locaux qui esquissent une anthropologie de la mémoire et sur le découpage communal et le repositionnement des fiefs sociétaux au Cameroun.
Les réflexions relatives au salariat en Afrique ont connu différentes modes et fait l'objet d'intérêts fluctuants, inscrits dans des historicités plurielles. Ce numéro propose d'en renouveler la compréhension dans plusieurs secteurs d'activités. Il part du constat de l'augmentation récente de la fraction salariée des classes populaires dans de nombreux pays, mobilisée dans les chantiers, les mines, les plantations, le gardiennage ou à travers la monétisation de rapports de travail qui ne l'étaient pas auparavant. Les analyses empiriques et théoriques proposées souhaitent éclairer ce phénomène resté trop discret dans les réflexions scientifiques et l'appréhension des dynamiques globales du point de vue de l'Afrique. Ce numéro étudie les pratiques et les imaginaires associés au travail salarié ainsi que les trajectoires biographiques des salarié.e.s subalternes en s'inscrivant dans plusieurs horizons disciplinaires. En outre, il revisite le rapport salarial en Afrique et relance le débat sur les outils d'analyse pour l'étudier.
S'ouvrant par un hommage à Moussa Sow (1953-2021), grande personnalité de la recherche au Mali, dont Anne Doquet et Jean-Paul Colleyn soulignent la " précision discrète ", ce numéro varia comporte plusieurs contributions sur des terrains d'étude en Afrique, tels qu'ils sont pensés et renseignés par des chercheurs qui en sont originaires, en collaboration rapprochée avec d'autres chercheurs basés en Europe et en Amérique. Gaetano Ciarcia évoque ainsi la mémoire du sociologue et poète béninois Émile Désiré Ologoudou, sa pensée oscillant entre marxisme et culte vodun. Un autre dialogue ethnographique est relaté par Lorenzo Macagno, par la révélation d'un échange épistolaire inédit entre le missionnaire et ethnographe mozambicain Kamba Simango et Franz Boas, auprès de qui il avait étudié et travaillé à New York en 1920-1921, contribuant aux premiers travaux de Melville Herskovits sur le Cattle Complex. Augustine Asaah analyse les interrogations de l'écrivaine guadeloupéenne Maryse Condé sur ses représentations et expériences d'amour/haine de l'Afrique. À sa façon, critique et exigeante, Jean Copans poursuit l'examen des travaux d'intellectuels africains contemporains à travers les publications récentes d'Alain Mabanckou (Huit leçons sur l'Afrique) et Abdourahman Waberi (Dictionnaire enjoué de l'Afrique, coédité avec Manbanckou). Claire Lefort-Rieu & Calvin Minfegue cosignent un article sur les conséquences instutionnelles de l'aide internationale en faveur des réfugiés à la frontière du Cameroun et de la République centrafricaine. Toujours au Cameroun, Georges Macaire Eyenga propose une analyse de l'usage des caméras de surveillance dans le contrôle de l'espace public à Yaoundé. Enfin, dans une perspective de très longue durée, Julien d'Huy questionne différentes méthodes d'analyse appliquées à des corpus mythographiques pour estimer la profondeur temporelle du motif du Soleil en tant qu'animal chassé.
Le dossier thématique du numéro 243 des Cahiers d'Études africaines s'intitule "Monastères catholiques et développement". Il propose d'étudier le rôle des monastères catholiques en Afrique pour le développement local. Tandis que la question des recoupements entre religion et développement dans différentes régions du monde est devenue, en peu de temps, un domaine de recherche dynamique, aucune de ces études n'interroge les spécificités des monastères en lien avec le développement. Cette question a été largement étudiée par les historiens pour les abbayes du Moyen-Âge et le développement de l'Europe mais demeure oubliée pour les monastères d'Afrique contemporaine. Les exemples de ce dossier provenant de monastères au Sénégal, au Ghana, au Burkina Faso, au Bénin, au Togo et au Kenya serviront à analyser des aspects généraux des transformations qui apparaissent dans les sillages de l'arrivée de nouvelles communautés religieuses: les conflits autour du foncier, des nouvelles logiques économiques, ainsi que le changement des structures hiérarchiques et des rapports de genre. Les articles qui suivent montrent l'intérêt de faire des monastères en Afrique un sujet de recherche à part entière autant pour comprendre les aspects moins connus du catholicisme africain que pour saisir les transformations des sociétés contemporaines et les aspects de la globalisation.