Province des littératures de l'imaginaire, la science-fiction apparaît d'emblée comme cross age, n'ayant pas pour vocation première d'instruire ou d'éduquer, mais de donner du futur une configuration plausible ou délirante, mais toujours spéculative. Or la question d'une SF lue, pratiquée, enseignée par et à la jeunesse n'avait pas encore été posée, systématiquement et précisément. Le présent volume, porteur d'une parole multiplement vive et critique, où s'éveillent les anticipations et où se révèle un " usage " pédagogique de la SF, comme il y a un " usage " du monde, se veut donc un rendez-vous des thèmes, formes et supports: un carrefour générationnel.C'est quand, la jeunesse? a-t-on envie d'écrire. Les réponses ici apportées racontent aussi l'histoire d'une légitimation, ce dont la génération Z ne se préoccupe même plus, acquise d'entrée de jeu à lamultiplicité et à la pluralité des oeuvres offertes/ouvertes.
La littérature de jeunesse, de la maternelle à l'université
Ce numéro s'intéresse au phénomène nouveau que représente l'étude de la littérature de jeunesse à tous les niveaux du système éducatif. Longtemps considérés comme une propédeutique à la lecture de la " vraie " littérature, les livres pour la jeunesse sont désormais lus pour eux-mêmes, pour leurs qualités propres, parfois jugées supérieures à celles de la lecture adulte. Cette légitimation par les instructions officielles, malgré ses hauts et ses bas, a suscité un intense travail de découverte et de recherche dans les instituts de formation, avec des orientations contrastées, la perspective didactique se nourrissant désormais de la reconnaissance des " pouvoirs de l'enchantement ". La littérature de jeunesse occupe aussi une place de plus en plus importante dans les facultés de lettres, au prix sans doute de deux stratégies qui pourraient paraître contradictoires, d'une part la promotion d'un " mauvais genre " venant bousculer les programmes académiques, d'autre part la validation de livres qui font œuvre et qui méritent d'être retenus pour leurs qualités esthétiques et pour leur aptitude à éveiller la pensée.
Ce numéro étudie les récits d'injustice, infligées ou subies, dans la littérature de jeunesse. La soif d'équité parcourt les cultures de jeunesse, faisant émerger des figures de justiciers populaires encore " réalistes " (du Bossu de Paul Féval au héros d'Eugène Le Roy, Jacquou le Croquant), mais qui peu à peu vont muter en constructions surnaturelles, le masque contribuant souvent à procurer une double identité fantasmagorique.Ces " raccommodeurs de destinées ", pour parler comme Francis Lacassin, deviennent ainsi les dépositaires de valeurs temporairement défaillantes, qu'ils vont s'ingénier à rétablir, à l'instar de Fantômette et de Daredevil, à moins que l'on ne leur préfère Constance Kopp, la shérif intrépide d'Amy Stewart, ou Buffy, la Tueuse élue au cœur blessé.Romans et séries font donc circuler les grand invariants de l'imaginaire justicier: la loi, la morale, l'oubli et le pardon, la vengeance ou la réparation y trouvent tour à tour matière à fiction.
En littérature comme au cinéma, la fantasy accorde une place de choix aux enfants, qu'il s'agisse de les mettre en scène au Pays des Merveilles, dans un univers parallèle ou tout autre école de sorcellerie, ou de montrer comment l'on grandit quand le monde est peuplé de dragons. Les personnages d'enfants, garçons et filles d'apparence ordinaire mais recelant d'impressionnants pouvoirs, apparaissent comme des héros privilégiés, vivant de grandes aventures magiques, mais où il est fréquemment question de transition vers l'adolescence ou l'âge adulte: l'enfance en fantasy ne serait-elle qu'un point de départ qu'il faut quitter? Quels sont les thèmes spécifiques liés au monde de l'enfance, quand celui-ci est empreint de magie? D'ailleurs, peut-on considérer qu'il existe une fantasy pour la jeunesse distincte de la fantasy pour adulte? Si l'enfance en fantasy est aussi variée que dans la réalité, peut-on véritablement définir ce qu'implique de grandir en fantasy? À travers des études de grands classiques du genre, de corpus thématiques internationaux ou de la question de la réception de ces œuvres en bibliothèque, ce numéro des Cahiers Robinson étudie la place de l'enfance en fantasy.
Avec le temps, Paul-Jacques Bonzon a été considéré uniquement comme un auteur de séries, et on a oublié des romans singuliers comme Du gui pour Christmas, Les Orphelins de Simitra, L'éventail de Séville, ou encore Le Viking au bracelet d'argent. Relire cette part de l'œuvre de Bonzon permet de la remettre en lumière mais aussi d'éclairer le développement de la littérature de jeunesse en ces décennies des Trente Glorieuses.La reconnaissance des qualités littéraires de l'auteur par les prix qui sont alors les plus représentatifs des années cinquante nous incite à nous interroger sur les attentes du public de l'époque et la façon dont Bonzon a su y répondre, par les thèmes traités, par l'inscription des faits dans une réalité sociale, historique ou géographique.Menant en parallèle une carrière d'instituteur, comment l'écrivain Bonzon équilibre-t-il didactisme inhérent aux productions pour la jeunesse, droits de la fiction, et désirs du public d'être diverti? Relire Bonzon aujourd'hui, c'est aussi mesurer l'écart entre notre monde d'aujourd'hui et celui de l'après-guerre, encore désuet, dans l'attente d'une modernité qui va l'emporter, un monde où les gens semblent avoir des désirs simples mais où l'appel de l'exotisme se fait sentir avec insistance.
Ce numéro porte sur un des auteurs pour la jeunesse les plus lus aussi bien à l'école que dans le domaine privé. Le succès des livres de Roald Dahl tient en grande partie à l'efficacité d'un imaginaire à la fois singulier et riche de résonances universelles, qui mêle habilement les registres, oscillant toujours entre l'humour et la cruauté, entre le réel et le surnaturel, entre la morale et la dérision. C'est le travail de cet imaginaire, si reconnaissable et si séduisant par ses ambiguïtés, que l'on se propose ici d'interroger. Il s'agit d'en explorer les origines, l'élaboration et le fonctionnement, selon des perspectives historiques, génériques et thématiques. On s'intéresse également à ses transpositions au cinéma par de grands réalisateurs. En s'appuyant à la fois sur les œuvres pour adultes et sur les œuvres pour la jeunesse on explore les diverses formes d'intertextualité, les stratégies développées en fonction des publics et des médias, ainsi que la question des genres et des registres. Enfin, on met l'accent sur des données biographiques qui trouvent des échos insistants tout au long de cette riche production.
Hector Malot fut le premier romancier véritablement " naturaliste " avant de se tourner vers une littérature plus facile mais engagée, notamment en faveur de la République et de l'école laïque. Cet engagement est étudié ici dans plusieurs ouvrages qui s'insèrent dans les débats de l'époque autour de la question scolaire. Malot fut aussi partisan d'une éducation active faisant place à l'observation et aux exercices corporels. Ce qu'il mit en application avec sa fille unique, pour laquelle il rédigea des cahiers de grammaire et d'histoire restés inédits jusqu'ici. Pour finir, d'autres textes inédits du poète oulipien Jean Queval montrent qu'il avait déjà perçu cette dimension d'un écrivain instituteur.
Si la Bible relève à la fois du sacré religieux et du patrimoine littéraire, il convient de s'interroger sur sa place à l'école, plus précisément dans la littérature d'enfance et de jeunesse, à l'heure des débats sur la laïcité. L'approche translittéraire et transculturelle privilégiée dans ce numéro consiste à étudier et à éclairer les corpus destinés à l'enfance en prenant en compte la complexité de la question de la réception (par l'auteur, le jeune lecteur ou le lecteur expert) et la multiplicité des enjeux dont les équilibres divergent selon la périodisation historique: les aspects pédagogiques et moraux prégnants jusque dans la première moitié du XXe siècle cèdent la place à de véritables créations esthétiques et culturelles dans l'ère contemporaine qui ne se départit pas pour autant de questions à portée philosophique ou spirituelle. En ce sens, si la littérature permet à la Bible d'être considérée comme un texte patrimonial, elle en offre également une approche originale, souvent désacralisante, qui pourrait inviter le jeune lectorat à porter un regard plus distancié sur les textes sources à double emploi, sacrés et patrimoniaux, dans un objectif de tolérance.
En quoi la littérature de jeunesse présente-t-elle un traitement " spécial " du métier ou de la personne du médecin/savant/thaumaturge? La simple terminologie " médecin versus docteur " est déjà éclairante… car on peut être docte/docteur en bien d'autres disciplines qu'en médecine, ou on peut l'être d'ailleurs en dévoyant complètement la science première en autre chose de beaucoup plus sombre, comme le manifeste la litanie des " mauvais " ou des " ambivalents " Docteur Mabuse, Docteur Moreau, Docteur Jekyll, Docteur Caligari… et tant d'autres.Car l'intérêt de cette figure protéiforme et transhistorique est de raconter par son prisme la position des communautés qui, fictivement ou réellement, dessinent le tissu national; être médecin ou savant, c'est avoir non seulement le droit mais aussi la puissance de vie ou de mort, de guérison ou de condamnation, sur les autres; angoissante et fascinante, la position engendre l'adoration ou la peur, et les contributions du présent numéro s'efforcent de parcourir le spectre de cette anthropologie imaginaire du sensible, y compris dans le registre fantastique de la fantasy ou du surnaturel expliqué.
Si les éducateurs ont toujours espéré " civiliser " les jeunes gens par la fiction, ces derniers revendiquent une liberté de choix et de jugement. La question des valeurs ne s'en pose pas moins, mais les nouvelles formes de récit se veulent plus ouvertes, en donnant l'occasion de les découvrir par soi-même et de les choisir.D'autre part, la prétention de dire avec certitude où est le Mal a été frappée de plein fouet par l'ère du soupçon. La réaction morale n'en veille pas moins sous différents visages, mais elle apparaît en décalage avec l'usage essentiellement récréatif qui est fait de ces productions. Lecteurs et spectateurs en herbe continuent malgré tout de puiser dans leurs loisirs culturels d'instructives leçons de vie.Les diverses contributions ici rassemblées illustrent les paradoxes liés à ces questions: ces récits forment-ils la jeunesse ou nous informent-ils sur elle? Et ne nous en disent-ils pas autant sur la société des adultes?
L'enfant souillée, puis suicidée dans Les Démons de Dostoïevski, l'errance toxique des petits durs de Robert Cormier, l'apprenti nazi au visage d'âge peint par Stephen King… autant de signes de l'opérativité du Mal, contextuellement plus choquant car rapporté à l'enfance, à la jeunesse, moments de l'Etre où nous nous plaisons à déposer nos rêves de pureté, d'innocence, de protection et de préservation.Or, le réel dément chaque jour cette sanctuarisation idyllique, et cet autre réel que porte la littérature de jeunesse vient nous chuchoter de bien sombres histoires – histoires de cruauté, d'abandon, de vices et de tortures.Constater la " banalité du mal " chez l'enfant des fictions (mal qu'il commet/mal qu'on lui inflige) amène au besoin d'expertise: qu'ont donc à nous apprendre, à ce propos, l'Histoire, la tradition, l'esthétique, la morale?Ce scandale permanent et renouvelé nous interroge en effet autant que nous le questionnons, inspirés que nous sommes par l'énigmatique parole hégélienne: oui, " les blessures de l'esprit sont les seules à guérir sans laisser de cicatrices ".