" Tout héros qu'il est, Ulysse demande à être attaché au mât du navire pour résister au chant des sirènes. De même, le poète oppose une résistance farouche à l'attraction du savoir. Non pas qu'il soit contre le savoir, au contraire, mais obstinément, avec entêtement, il cherche à garder inaccessible un fragment qui échappe depuis toujours au savoir. Si chaque objet a une ombre portée, le savoir aussi a la sienne qu'il lui est, par définition, impossible d'éclairer de ses lumières. Pour s'aventurer dans cette ombre, il faut impérativement un stalker. Certaines choses ne s'enseignent pas. Non seulement elles ne s'enseignent pas, mais l'acte de vouloir les enseigner les annule aussitôt. Elles doivent leur présence à l'effacement de la raison. Peut-être à une folie, à une transe, une perte, une dérive. Peut-être aussi, sans doute même, au sang, qui y est pour beaucoup dans l'ardeur d'une ombre qui trouve ses origines dans les profondeurs de nos violences et de nos barbaries. "Ce livre est issu de la leçon inaugurale prononcée au Collège de France le jeudi 6 février 2025 par Wajdi Mouawad, professeur invité en 2024-2025 sur la chaire annuelle L'invention de l'Europe par les langues et les cultures, créée en partenariat avec le ministère de la Culture.
Voukoum – " désordre " en créole – est un groupe qui occupe un espace de contestation sociale et politique majeur au sein du carnaval guadeloupéen. Né à Basse-Terre en 1988, ce mouvman kiltirèl se distingue d'autres formations carnavalesques par son approche spirituelle radicale et son lien revendiqué à l'Afrique. Flore Pavy, anthropologue entrée dans le groupe comme musicienne, décrit minutieusement le Mas, le rituel de transformation et de mise en mouvement des corps de Voukoum. Elle met en lumière des processus de créativité rituelle qui permettent, tout en s'inspirant d'autres pratiques culturelles caraïbéennes contemporaines, de retrouver une sacralité africaine ancestrale.En quoi la technique du Mas s'inscrit-elle dans l'histoire postcoloniale et évoque-t-elle la déportation et la mise en esclavage? Comment Voukoum lutte-t-il contre la société de consommation et dénonce-t-il les rapports de domination encore à l'œuvre aujourd'hui? Quelle place ses membres confèrent-ils à la sauvegarde du patrimoine vivant, de la langue créole et, en particulier, de l'art musical gwoka?Faisant la part belle aux témoignages des acteurs du carnaval, cet ouvrage offre une vision encore largement méconnue de l'histoire de la Guadeloupe et de la place singulière occupée par les Antilles françaises dans l'aire caribéenne. Voukoum, esprits rebelles du carnaval guadeloupéen initie le lecteur à la vie d'un collectif qui s'efforce publiquement de " reconstruire le fil rompu des liens ancestraux et toujours réinventer les récits essentiels ".
Les contributions réunies dans ce numéro autour des formes diverses des théâtres de la nature, tant historiques que contemporaines, interrogent les termes utilisés pour les désigner. Elles abordent divers lieux, des forêts aux cimetières, en passant par les jardins ou les parcs, mais aussi différentes pratiques artistiques, toutes influencées par l'espace dans lequel elles naissent, et enfin leurs relations aux publics, conditionnées par l'installation d'un dispositif en lien avec la nature.
Le genre s'invite aujourd'hui partout, dans les débats de société comme dans les études universitaires. Que ce soit pour s'attaquer à une " idéologie du genre " supposée ou, au contraire, pour dénoncer la dimension idéologiquement réactionnaire de ces attaques, le genre mobilise l'université comme la société civile et les politiques. D'où le terme vient-il ? Que recouvre-t-il dans ses différents emplois ? En quoi et comment cette notion permet-elle de penser des questions d'identités sexuées et des questions de sexualité ? In fine, à quoi sert-elle et que peut-on faire avec elle ? C'est à ces questions que ce volume répond.
La rivalité pour l'hégémonie en Grèce dans la première moitié du IVe siècle avant J.-C.
L'une des conséquences de la guerre du Péloponnèse a été le développement d'une politique navale à grande échelle de la part de deux puissances terrestres : Sparte et la Confédération béotienne. À l'époque de leurs hégémonies respectives (404‑371 et 371‑362 av. J.-C.), elles ont dû se tourner vers la mer pour contrer le pouvoir qu'Athènes y exerçait, en mettant ainsi fin à la répartition, ancrée dans les esprits, entre la puissance sur terre (Sparte) et la puissance sur mer (Athènes). Cette nécessité a conduit Sparte et la Béotie à s'adapter à ce nouveau contexte : la surveillance des lieux stratégiques et la guerre navale étaient désormais au cœur de leurs préoccupations.L'ouvrage propose d'examiner les modalités d'adaptation entre les contraintes liées à une puissance terrestre et la mise en place d'une politique navale. Quelles ressources en argent, en hommes et en matériaux étaient nécessaires pour la construction et l'entretien d'une flotte et de ports militaires ? Quels étaient la disposition et l'aménagement des sites urbains à proximité de la mer ? Quel était leur rôle dans le développement de la navigation ? De tels changements ont entraîné un nouveau type de contrôle des réseaux routiers et du territoire. La question de l'organisation hiérarchique de la flotte se pose également. Par ailleurs, le développement de lieux stratégiques dans le cadre d'une politique navale crée de nouvelles relations sur le plan international. À travers l'analyse de ces changements, ce livre montre comment des puissances terrestres ont pu développer une politique navale et jouer ainsi un rôle central dans le monde égéen.
Depuis plusieurs années, de plus en plus de villes rivalisent d'ingéniosité pour obtenir le titre de " Capitale européenne de la culture ". Le titre a en effet été synonyme d'un renouveau économique et d'une politique de régénération urbaine pour des villes comme Glasgow (1990), Lille (2004) ou encore Liverpool (2008). Des villes moyennes comme Bourges, Lens ou Rouen candidatent aujourd'hui pour le titre de 2028.En partant du cas de Matera, Capitale européenne de la culture en 2019, l'ouvrage vise à décrire les coulisses du processus de labellisation. L'arrière-scène est analysée sous un triple aspect: les jeux d'acteurs, les représentations urbaines et les projets de transformation de la ville. Cette phase de préparation à l'événement est particulièrement intéressante pour observer la manière dont s'opèrent les choix stratégiques, l'évolution des rapports entre les acteurs de la fabrique urbaine, mais aussi l'émergence de conflits et de controverses autour de l'utilisation du label. Dans le cas des Capitales européennes de la culture, cette approche permet de dépasser des études traditionnellement axées sur l'évaluation des impacts positifs ou négatifs de l'événement culturel.L'ouvrage s'inscrit dans le domaine du patrimoine, et plus particulièrement dans les thématiques de l'architecture et de l'histoire urbaine. Dans une ère définie par la compétition internationale et une concurrence accrue entre les villes, la recherche questionne plus globalement les effets de la labellisation sur la fabrique urbaine.
Géographie de la fête dans une ville post-conflit.
Cette géographie des loisirs nocturnes à Beyrouth nous emmène au-delà du cliché des nuits enflammées et sans fin de la capitale libanaise, pour analyser les espaces de sociabilités festives, les pratiques des acteurs qui produisent et fréquentent cet univers au quotidien, et les représentations qui lui sont associées. Dans cet ouvrage, Marie Bonte croise les problématiques liées aux usages ludiques de la nuit avec les questions que posent les héritages complexes des conflits, notamment de la guerre civile libanaise. Ce faisant, elle montre comment les pratiques liées à l'alcool, la drague, la danse, constituent des manières de produire et de se réapproprier l'espace urbain, mais aussi d'énoncer un possible vivre-ensemble au-delà des assignations identitaires que le conflit a imposées et matérialisées dans la ville. Au cœur des problématiques de la géographie sociale, culturelle et politique, et intégrant des éléments de marketing territorial, l'ouvrage revisite les questions urbaines au Proche-Orient et de gestion du post-conflit.Il intéressera les étudiants, enseignants et chercheurs qui participent d'une réflexion générale sur l'urbain et les espaces post-conflit, sur les changements à l'œuvre dans les sociétés arabes, et sur les citadinités jeunes qui réinventent sans cesse et bruyamment les modalités d'interaction et les manières d'être à la ville.
Le droit, la société, la nature : une mise en perspective
L'objectif de cet ouvrage est de mieux comprendre les interrelations entre savoirs et pouvoir en se livrant à une mise en comparaison des évolutions des savoirs sur le droit avec ceux sur la société et ceux sur la nature. Cette mise en comparaison donne à voir un exceptionnel parallélisme des transformations dans le temps de ces trois régimes de savoir. Initialement inspirés par une forte tendance à l'autoréférentialité, par des approches en surplomb, par des vérités imposées, ils semblent de moins en moins en mesure d'échapper aux effervescences venues de la société. Le " social " devient partie prenante de ces trois régimes de savoir. Une telle évolution suggère alors une homologie avec les transformations du régime de régulation politique des sociétés marqué par une remise en cause du monopole d'une régulation par le haut. Finalement, une implication citoyenne de plus en plus évoquée dans les débats sur les savoirs et la place de ces derniers dans la Cité fait écho ou interagit avec les réflexions sur les attentes de redéfinition de l'exercice du pouvoir dans les sociétés dites " démocratiques ".
Avec pour fil rouge les volcans, l'autrice offre un voyage aux confins du monde mais vécu dans ceux de l'esprit. Chacun de ces volcans, réels ou imaginaires, sérieux ou farfelus, est un prétexte à expérimenter les rapports entre texte et dessin, et à voyager en empruntant tous les chemins de traverses : de l'architecture aux mythes, en passant par l'onomastique, la littérature, le design, la fiction, la chimie, la nostalgie ou l'interprétation des rêves. On touchera un peu de volcanologie en passant, mais sans obsession, pour simplement guider le propos et voir apparaître d'autres thèmes, selon leur résonance avec l'autrice, dont la curiosité maladive, nous emmenèra loin!
La présidence Trump s'est conclue aux États-Unis par une série d'événements inédits: contestation de la légitimité des résultats de l'élection par le président sortant, occupation du Capitole à Washingtonpar une foule de ses soutiens, crainte d'une mobilisation de l'armée pour empêcher la passation du pouvoir, refus de Donald Trump d'assister à la cérémonie d'investiture de son successeur, Joe Biden. Ces faits attestent, si l'on en doutait encore, la mauvaise santé de la démocratie américaine.La responsabilité de Donald Trump dans l'affaiblissement d'un certain nombre de principes essentiels de la vie démocratique – tel que la transition pacifique du pouvoir – ne saurait être négligée. Néanmoins, il serait erroné de penser que sa présidence signale une rupture: elle s'inscrit au contraire dans la continuité d'une tendance à l'effritement des normes démocratiques aux États-Unis, engagée bien avant son entrée en politique.Cet ouvrage entend ainsi replacer la présidence Trump dans son contexte plus large: celui d'une fragilisation des acquis démocratiques aux États-Unis, portée entre autres par un parti républicain succombant de plus en plus à des tentations illibérales.
Ce numéro de Nouvelles Questions Féministes répond à ces questions selon divers points de vue historiques, sociologiques et militants. Il propose plusieurs pistes de réflexion: l'autonomie relative des groupes minorisés, le difficile équilibre entre un " entre-soi minoritaire " et la nécessité vitale des alliances, enfin l'importance de soulager les groupes minorisés de la charge de l'éducation pour réduire les dominations. De manière transversale, le Grand angle, le collectif et les parcours rappellent que la lutte féministe, dans son organisation et dans la définition de ses objectifs, ne peut être que collective.
Éthiques et politiques des appartenances et différences
Entre affirmation d'appartenances et confrontation aux différences, quel rôle la notion de culture joue-t-elle dans l'orientation des conduites individuelles et collectives? Comment est-elle devenue un référent moral globalisé, construit autour des idéaux de respect et d'enrichissement mutuels, et, simultanément, un support de distinctions parfois rigides et conflictuelles? Quelle place les considérations éthiques et morales prennent-elles dans la régulation des politiques et pratiques culturelles?De l'Australie au Pérou, des Pays-Bas au Mali, de la Suède au Mexique, en passant par la France et la Roumanie, les quatorze anthropologues et sociologues réunis pour ce livre par Guillaume Alevêque et Arnauld Chandivert portent un regard critique sur leurs terrains de recherches pour interroger les processus de moralisation de la culture et du patrimoine.À l'heure où les nationalismes, les migrations, les religions et les pratiques mémorielles, artistiques ou festives nourrissent de vives polémiques, cet ouvrage constitue une approche aussi inédite qu'essentielle des interactions entre culture et morale. Que font l'éthique et la morale à la culture? Que fait la culture à la morale?Loin de ne rendre compte que d'oppositions et d'asymétries, les contributions témoignent de l'imbrication des régimes éthiques et moraux appliqués aux problématiques culturelles, sans se satisfaire de lectures schématiques des questions de valeurs, qui saturent de nos jours les discours et débats publics.