Cet ouvrage invite à une lecture plurielle des lais bretons en moyen-anglais et du faux-semblant réussi qu'est le Franklin's Tale de Chaucer. La nature même de ces textes appelle une exploration à la fois historienne, littéraire et anthropologique. Conçus au sein de l'espace culturel anglo-normand, sous la plume de Marie de France, ils sont acculturés dans la langue vernaculaire un siècle plus tard environ, dans une Angleterre qui ne porte plus le même regard sur l'éthique chevaleresque. La fascination aristocratique de jadis pour la romance continentale se manifeste au XIVe siècle, au sein de la bourgeoisie urbaine et de la petite noblesse, envers des récits enracinés dans un Ailleurs aventureux souvent celtisant, mais jamais coupé des impératifs sociologiques. Ceux-ci sont liés au lignage, à la transmission, à l'institution du mariage, à la reconnaissance communautaire de l'identité individuelle. De la narratologie à la culture matérielle, de la sociologie au questionnement philosophique, le présent recueil rend accessible à tous les étudiants l'espace-temps singulier des lais bretons en anglais.
Premier recueil d'Alice Munro, Dance of the Happy Shades (1968) fait le pari d'une prose apparemment lisse et marquée au sceau du réalisme. Pourtant, ces quinze nouvelles mettent au jour la complexité de la voix narrative. Le tissu conjonctif de références littéraires et picturales qu'elle convoque incite à lire le texte comme un palimpseste. Le lecteur saisira des détails qui bousculent l'explicite, introduisant l'ambiguïté, voire le renversement du sens. Il découvrira une styliste qui, tout en s'inspirant de la tradition, a su inventer sa propre forme. Poétesse de l'imaginaire, Munro crée son territoire littéraire autant qu'elle l'explore.
L'année 1914 marque plus que jamais la rencontre entre l'avant-garde artistique et l'avant-garde militaire, deux champs qui n'ont cessé d'entrer en friction, depuis le XIXe siècle. En 1914, ces frottements sont tout particulièrement sensibles dans les relations entre les arts visuels et l'histoire, dans un moment où la crise de la conscience européenne se cristallise en catastrophe radicale. La création artistique était alors prise entre différents courants contradictoires, soit pour inscrire la modernité dans une tradition idéalisée soit pour se mettre en quête d'utopies sociales dont les artistes et les architectes se font les hérauts. Dans les tout premiers jours d'août 1914, la violence concrète, immédiate, s'empare brutalement des destins individuels et les réoriente. Tout va se fracturer, les amitiés, les partages internationaux, les engagements: les rendez-vous intellectuels et artistiques internationaux sont annulés. La guerre envahit soudainement les esprits des individus et des sociétés, s'empare des corps et bouleverse les mondes de l'art. Dans les pays belligérants, les artistes rejoignent massivement les rangs des armées. La guerre reconfigure tout et s'insinue partout: même ceux qui échappent momentanément ou définitivement à la mobilisation ou renoncent à s'engager, et qui observent la guerre à distance, s'appliquent à traduire des réorientations dont les motivations sont souvent plus politiques et guerrières qu'artistiques. La réunion de ces multiples approches permet de penser la situation intellectuelle et pratique de la création visuelle pendant les six premiers mois " ordinaires " de l'année, et de comprendre aussi précisément que possible la nature des prises de conscience provoquées par l'événement de la déclaration de guerre ainsi que par les premiers combats.Ce livre explore les strates de sens inscrites dans les œuvres et les objets, les orientations du goût et du marché, les pensées et les discours critiques et théoriques, afin de faire l'anatomie de ce qui s'est brisé dans les représentations occidentales dans ce temps court – mais essentiel – de l'histoire et de l'art du XXe siècle.
Cet ouvrage nous propose une réflexion pionnière et originale sur le mouvement de contestation sociopolitique de 1968, considéré dans sa diversité, et à l'échelle des mondes américains. Réflexion pionnière parce que pour la première fois, quarante années après les faits, des chercheurs en sciences sociales et humaines – européens et américains – sont convoqués par des spécialistes français, afin de tirer un premier bilan des confluences, des parallélismes et des influences réciproques (chacun de ces mots a sa propre importance), dans une période charnière dans l'évolution du 20e siècle. Un premier bilan qui jette les bases pour des travaux ultérieurs d'approfondissement.Réflexion originale aussi parce qu'elle a volontairement souhaité confronter les deux mondes américains (l'anglo-saxon et l'ibérique) et observer leurs réactions et leurs pratiques spécifiques, face au mouvement et à la résistance au changement qu'il pouvait susciter.Les travaux de recherche rassemblés dans cet ouvrage portent sur les différents aspects de l'histoire politique, concernant la période, et sur les différences repérées entre les objet-pays et les objet-processus, choisis dans la synchronie. L'analyse sociologique, celle du discours, ainsi que la perspective anthropologique sont présentes et représentent des instruments utilisés dans chacune des contributions, ce qui leur donne la validité des travaux interdisciplinaires.L'approche retenue par les participants s'ouvre également aux aspects culturels et artistiques, aux nouvelles problématiques et aux innovations méthodologiques très récentes, afin de mieux comprendre les revendications que le mouvement a pu arborer, tantôt comme produit, tantôt comme facteur.En somme, un travail qui renforce la dynamique des études comparatistes euro-américaines et que, logiquement, il faut lire.Pablo F. LunaUniversité Paris Sorbonne
A l'occasion des quarante ans de la création de l'université de Nanterre, un colloque international a fait le point sur les transformations des sciences humaines et sociales de 1970 à nos jours. Ce colloque – nécessairement inter- voire transdisciplinaire – a été l'occasion de rappeler que, malgré la perte d'audience des SHS, les évolutions des connaissances qui redéfinissent le monde ont de grandes conséquences sur l'engagement politique et la formation pédagogique et citoyenne. Les participants à ce colloque ont également pu constater que les grands paradigmes du passé – marxisme, structuralisme, fonctionnalisme – se sont enrichis d'autres manières de questionner le monde, en particulier les gender, subaltern et postcolonial studies, et des sciences de la cognition, en plein développement grâce aux progrès des techniques biomédicales. Si les SHS restent indispensables pour l'analyse des relations entre société et individu d'une part, et biologie et culture de l'autre, la prise en compte de certains aspects des sciences de la nature semble aujourd'hui néanmoins nécessaire pour mieux redéfinir l'humain. Enfin, les contributions de ce volume montrent qu'il est encore possible de poursuivre une réflexion épistémologique synthétique permettant de mieux redéfinir le domaine d'analyse des SHS.
Community in the UK ? En écho à l'injonction des Beatles, " Come together! ", le lecteur passera par différents lieux de l'union et de la désunion: chantiers navals de Clydeside, houillères du Kent, usines de la société Lucas Aerospace, tribunes de stade où chaos et communauté sont les marqueurs du quotidien. On s'assemble, selon la classe sociale, les démarcations ethniques à Northampton, les fractures confessionnelles à Belfast, ou les goûts musicaux: ces facteurs mobilisent des communautés plurielles. Celles-ci entrent parfois en conflit, prises dans un changement incertain. Ce changement est signe de crise, mais de quelle crise? et dans quel royaume?
Au printemps 2001, Loft Story, la première émission de téléréalité française, est diffusée sur M6. Son succès, tout comme sa condamnation, sont immédiats. La France semble alors coupée en deux, entre adeptes passionnés, rivés à leur écran, et contempteurs mobilisés, héros féroces d'une vindicte intellectuelle sans merci. Le phénomène Loft Sory est né.C'est ce phénomène, et de manière plus large celui de la téléréalité, que le sociologue Gabriel Segré se propose d'étudier et d'analyser dans cet ouvrage. Il montre comment l'émission et sa diffusion ont été constituées en scandale et ont donné lieu à un violent discours de condamnation où se sont exprimés non seulement le rejet de la téléréalité, mais aussi les angoisses liées aux grandes évolutions sociales contemporaines. L'émission est perçue comme un dispositif de production de vedettes – éphémères – créées ex nihilo. L'auteur suit le parcours des candidats et observe les réactions des différents médias à leur égard. Il évalue l'efficacité de la télévision comme instance de production d'une nouvelle nature sociale, qui transforme les gestes et les regards des lofteurs comme de leurs interlocuteurs. À travers les témoignages des téléspectateurs de l'émission, il présente les différentes réceptions de l'émission et les nombreuses formes d'interprétations, d'usages, de détournements et d'appropriations du programme.Dans cette enquête au long cours et aux multiples dimensions, le sociologue, à présent que toutes les voix se sont tues sur ce phénomène qui a fait tant de bruit, fait entendre la sienne et propose un regard objectif et éclairant sur cette odyssée moderne.
Le champ des droits de l'homme est certainement l'un de ceux où l'écart entre l'existence de la norme et la réalité de son application est le plus grand, et dont les effets sont au quotidien les plus ressentis. On comprend alors que la question de l'effectivité soit au cœur des réflexions sur les droits de l'homme. Cette question comporte indéniablement une dimension théorique : comment distinguer les notions d'effectivité, d'efficacité ou de validité de la norme ? Comment penser le passage du devoir être : la formulation du droit – à l'être : la jouissance du droit par les individus ? Par quels mécanismes, juridiques ou autres, assurer l'effectivité du droit ? On pressent néanmoins que la résolution de ces questions ne peut faire l'économie d'une mise à l'épreuve pratique. Les études de cas montrent ainsi que l'effectivité n'est pas gage d'efficacité et qu'inversement la recherche de l'efficacité d'un système juridictionnel ne garantit pas le respect des droits individuels. De même, les préoccupations d'efficience peuvent entraver aussi bien l'effectivité des droits que l'efficacité des politiques législatives. Les mêmes constats en demi-teinte caractérisent l'analyse des mécanismes destinés à assurer l'effectivité des droits de l'homme. Aucun dispositif juridique – pas même le juge pourtant considéré comme le garant par excellence des droits et libertés –, aucun levier économique ou aucune politique publique n'offre de solution imparable. C'est alors vers leurs articulations, elles-mêmes problématiques parce qu'oscillant entre complémentarité et concurrence, que la réflexion mérite d'être portée. Sur ce point comme sur d'autres, les droits de l'homme apparaissent comme un laboratoire d'analyse particulièrement fécond pour les sciences juridiques et sociales.
L'invention du Ravissement de saint Paul de Nicolas Poussin à Charles Le Brun
Au printemps 1650, le tableau du Ravissement de saint Paul de Nicolas Poussin (musée du Louvre) quittait Rome pour Paris. Il avait fallu cinq ans pour que le peintre finisse par satisfaire la demande du poète Paul Scarron. Vingt ans après, le même tableau était extrait des collections de Louis XIV pour être commenté deux fois au sein de l'Académie royale de peinture et de sculpture. Les deux conférences, dont l'une de Charles Le Brun, soulignaient les exceptionnelles qualités formelles de l'œuvre et la complexité de son contenu.Comment comprendre qu'un tableau que Poussin a peint contre son gré ait le plus suscité l'attention des peintres français du xviie siècle ? Telle est la contradiction à laquelle cet essai se confronte, en scrutant le tableau avec minutie et en s'interrogeant sur la capacité d'un regard contemporain à rendre compte d'un tableau ancien. Comment un peintre isolé vivant à Rome pouvait-il concevoir un sujet religieux qu'il savait devoir être goûté dans un salon littéraire parisien ? À quels types d'attentes, mondaines, culturelles, poétiques ou spirituelles pouvait-il vouloir répondre ? En quelle mesure le lieu de création, la Rome baroque, participe-t-il de la spécificité du tableau ? Comment comprendre la fortune singulière de celui-ci dans la France du Grand Siècle ?À travers l'étude de la genèse puis de la réception du Ravissement de saint Paul, du milieu des années 1640 à la fin des années 1670, il s'agit de mieux cerner la manière dont un artiste éminent pouvait appréhender la production d'un tableau et les modalités par lesquelles une œuvre pouvait être attendue, réinventée, intronisée enfin en sa qualité d'œuvre d'art dans la société du xviie siècle.Marianne Cojannot-Le Blanc est professeur d'histoire de l'art moderne à l'université Paris Ouest Nanterre La Défense.