Interagir en situation de jeu : catégorisation et positionnement
Le jeu comme objet d'étude suscite un intérêt grandissant, essentiellement en psychologie, sociologie et dans les sciences de l'information et de la communication. Ce numéro traite des interactions en situation de jeu, au travers d'une entrée sociolinguistique, la catégorisation. Dans une perspective ethnographique et ethnométhodologique, il s'intéresse à la construction et à l'émergence de différentes catégories en situation de jeu.Ces dernières années, des analyses discursives, interactionnelles ou ethnométhodologiques ont en effet mené à s'interroger sur les pratiques de catégorisation des joueurs et joueuses: quelles catégories sont mobilisées pendant et après le jeu? Comment ces catégories sont-elles construites à travers les activités du jeu et dans l'interaction? Et comment différents types de catégories (liés au jeu ou pas) se superposent ou s'entremêlent?Ce dossier rassemble des recherches francophones étudiant des jeux de plateaux (Barbier; Bécu-Robinault & Ghimenton), un jeu digitalisé (Heiden & Quignard) et des jeux sur la plateforme Twitch (Colón de Carvajal). Les auteurs et autrices s'appuient sur la théorie des rôles de Goffman, la membership categorization analysis et sur la théorie du positionnement afin de comprendre les pratiques et enjeux de la catégorisation pendant le jeu ou après-coup.
Si la dimension langagière des mouvements sociaux a fait l'objet de recherches dès les années 1960, les travaux existants privilégient dans leur majorité des corpus de paroles ou de textes publicisés. En faisant dialoguer les disciplines du langage et du discours avec la sociologie interactionniste, la théorie politique des (contre-)publics, l'histoire et la sociologie des mobilisations, ce dossier déplace le regard vers des productions langagières protestataires qui se situent en amont et en périphérie de leurs processus de publicisation. Un tel déplacement implique un travail d'enquête archivistique et/ou ethnographique pour transformer en corpus ce qui se dit et s'écrit dans les coulisses et les marges des mobilisations.Ce programme de recherche se déploie à partir d'une réflexion sur l'articulation de ces deux notions de coulisse et de marge (article de Manon Him-Aquilli, Juliette Rennes et Marie Veniard) et d'une discussion du vocabulaire conceptuel de James Scott pour analyser le " texte caché " des groupes dominés d'un point de vue sociolangagier (Mariem Guellouz). Le dossier explore également l'usage d'archives écrites pour saisir le travail de protestation au 19e siècle depuis ses marges (Dinah Ribard) et l'ethnographie des échanges langagiers en terrain militant pour investiguer la constitution ou le délitement des stratégies d'alliance entre des groupes (Lilian Mathieu) et l'élaboration collective d'un discours pour défendre une cause émergente (Laura Verquere). Il se clôt par un entretien collectif (avec Alexander Bikbov, Jean-Gabriel Contamin, Manon Him-Aquilli et Julien Talpin) sur les enjeux méthodologiques, épistémologiques et éthiques des enquêtes sur les coulisses militantes.
L'analyse du discours francophone en Afrique de l'Ouest – Perspective historique et épistémologique
La contextualisation historique et épistémologique des disciplines est une préoccupation qui revient à intervalles réguliers dans les Suds, en Afrique notamment, sous la forme d'un appel pressant à la décolonisation des savoirs. Ce numéro, inscrit dans ce cadre politico-scientifique, vise à décrire l'histoire, la généalogie et les perspectives de l'analyse du discours dans la sous-région Ouest, tout en examinant ses enjeux épistémologiques. Ce faisant, il répond à une actualité en Afrique, marquée par la création du Réseau africain d'analyse du discours (R2AD) en 2019, qui a stimulé l'intérêt pour structurer le champ de l'analyse du discours francophone, alors peu développé. La problématique centrale de ce dossier est l'urgence de la valorisation des savoirs endogènes, souvent minorés au profit de la " bibliothèque coloniale " témoignant de la domination de la recherche africaine par des institutions et chercheurs et chercheuses de l'Occident.Les auteurs et autrices y élaborent une cartographie de l'analyse du discours en Afrique de l'Ouest en examinant ses trajectoires théoriques, ses terrains et projets ouverts par la jeune recherche, et ses liens avec la sociolinguistique. Le numéro propose enfin une bibliographie raisonnée et commentée.
Michel Foucault est une figure phare de la vie intellectuelle dans le monde entier. Il a été l'un des penseurs qui ont mis la notion de discours au centre de la réflexion des sciences humaines et sociales et il a contribué au développement de champs nouveaux comme les études sur la sexualité, les études culturelles ou encore les études sur la gouvernementalité. Même s'il s'est refusé à se poser en fondateur d'un courant d'analyse du discours, il a aussi été une source constante d'inspiration pour ce champ de recherche alors émergent, en particulier par son livre l'Archéologie du savoir.Ce numéro de Langage & Société ne cherche pas à retracer la déjà longue histoire de l'influence de Foucault sur l'analyse du discours; il ne cherche pas non plus à éclaircir la signification d'un certain nombre de ses concepts (" formation discursive ", " dispositif ", " archive "…). Il s'attache plutôt à mettre en évidence le rôle d'inspirateur qu'il continue à jouer dans l'étude du discours. C'est ce dont témoignent les articles présentés, qui abordent des questions très diverses, à la mesure d'une œuvre protéiforme qui associe une créativité conceptuelle sans cesse renouvelée à un savoir historique considérable.Parmi les objets choisis par les auteurs et les autrices, on compte les discours contemporains du religieux, la discipline des corps, la production journalistique, le débat sur le néolibéralisme et la critique du pouvoir.
Documenter les atrocités : de la clandestinité au tribunal et au Musée, usages et effets des écrits de dénonciation (Chili, Argentine, Pérou, Colombie)
L'objectif de ce numéro est de discuter des usages et des effets sociaux des documents écrits qui inscrivent des épisodes massifs de violence politique, appelés " documents de l'atrocité ". Les articles du dossier s'appuient sur la prise en compte de chaînes d'écriture, des premiers témoignages recueillis clandestinement par des ONG locales jusqu'aux rapports des Nations Unies sur les violations des Droits Humains en passant par les recours auprès des tribunaux, et les travaux des " Commissions Vérité " mis en place par la Justice Transitionnelle. Le premier article analyse le cas d'une jeune femme disparue, de la déclaration faite par ses proches jusqu'à la condamnation obtenue de haute lutte 40 années après les faits, et comment les pérégrinations de certains énoncés ont été décisives. Le deuxième article explore un corpus de 85 énoncés, en scrutant leurs formes d'insertion dans les différents documents de cette chaine. Le dernier texte traite des usages pédagogiques, scolaires et muséographiques, des documents de l'atrocité dans quatre pays (Pérou, Colombie, Chili, Argentine). Leurs auteurs développent une approche située de la force perlocutoire des écrits, force actuellement menacée – fermeture de musée en Colombie, outils pédagogiques interdits au Pérou – ou renforcée – déclassification d'archives en Argentine. Ces documents de l'atrocité restent donc des écritures vives, des forces de témoignage face au déni et de résistance contre l'effacement.
Au sommaire : G. Manno, "La politesse et l'indirection : un essai de synthèse" ; L. Kaufmann, "L'opinion publique ou la sémantique de la normalité" ; P. Amey, ""L'énonciation profane" dans le débat sur l'énergie nucléaire en France".
Au sommaire : N. Armstrong, "Nivellement et standardisation en anglais et en français" ; M. Carel et P. Schulz, "De la générécité des proverbes : une étude de l'argent ne fait pas le bonheur et il n'y a pas de roses sans épines ; A. Villechaise-Dupont et J. Zaffran, "Le "drame" de l'illettré : analyse d'une fiction sociologique à succès politique".