Cet essai retrace l'histoire d'une série de malentendus qui jalonnent les vies multiples d'une œuvre et interrogent le rapport toujours tendu qu'entretiennent l'art et le politique. Tout débute par un ensemble de stratégies interprétatives destinées à " neutraliser " le sens que l'on attribue à la peinture du drapeau des États-Unis réalisée par Jasper Johns en 1954-1955. En inverser les couleurs revient-il à révéler une charge politique latente? Les interprétations qu'en donnent Faith Ringgold, Donald Judd ou Yvonne Rainer à la fin des années 1960 trahissent-elles l'indifférence de leur modèle? Certes, nous prévient Jasper Johns, un artiste qui dit fabriquer du chewing-gum peut se trouver attribuer l'intention de produire de la colle. L'histoire continue et, en 2025, on ne saurait sous-estimer la portée symbolique d'un drapeau des États-Unis en négatif tel que l'a peint Jasper Johns il y a tout juste 60 ans.
Les contributeurs et contributrices de ce numéro se penchent sur la question du travail dans ses relations avec l'histoire de l'art. Des représentations iconographiques – comme celles de l'artisanat, de l'industrie ou encore des femmes au travail – aux corporations et à la conception du statut de l'artiste en passant par la définition et l'exercice du métier d'historien et historienne de l'art, le thème de ce numéro permet d'examiner l'évolution de la conception de l'activité artistique en même temps que le développement du vocabulaire destiné à la nommer. Il s'agira également d'identifier les courants de l'histoire de l'art qui ont porté leur attention sur la production et le processus de l'art plutôt que sur sa réception et de comprendre selon quelles théories, méthodologies ou idéologies la discipline s'est constituée.
Dominique Malaquais, historienne de l'art et politiste (1964-2021): son existence et sa formation sont ancrées dans deux pays (Etats-Unis, France), deux cultures et deux langues. Pour elle, penser l'art et penser le politique ne font qu'un. Et c'est aux Afriques, à leurs cultures urbaines et à leurs arts que, pendant plus de trente ans, elle consacre son activité de chercheure, d'enseignante, de curatrice, de traductrice et d'écrivaine.Parce que le travail en collectif était essentiel pour Dominique Malaquais, elle se raconte ici avec des compagnes et compagnons de route – Kadiatou Diallo, Silvia Forni, E´le´onore Hellio, Jean-Christophe Lanquetin, la paperson, Lionel Manga, Dominique de Me´nil, Ntone Edjabe et Julie Peghini. Elles et ils sont universitaire, vide´aste, curateure, sce´nographe, bloggeuse, activiste, essayiste, édiiteur ou encore DJ. Avec chacune, avec chacun, un échange. Il y est question d'insoumission, de convictions partagées et de pratiques communes, de prises de position et de désaccords, d'incertitudes, de colères, de joies, de possibles, de culs-de-sac. Au fil de ces récits se construit un atlas de trajectoires entrelace´es.L'importance du travail accompli par Dominique Malaquais a pour nom Afriques. Les Afriques où elle a engagé son expérience affective, sensorielle, relationnelle, artistique et politique. Les Afriques qu'elle place d'autant plus haut qu'elle a toujours la plus vive conscience de rester, quoi qu'elle dise ou quoi qu'elle fasse, une Occidentale, enseignant dans les plus prestigieuses universités états-uniennes ou œuvrant au CNRS. L'exigence, la lucidité, la clairvoyance des échanges qui trament cet ouvrage tiennent indissociablement à ce que Dominique Malaquais y relaie les arts africains d'êtres engagés et engageants – qui font humain ensemble: ubuntu – et aux façons dont elle effectue cette passe, suggérant par quelles coopérations à géométrie variable peut s'opérer ce relais.
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